Pourquoi explorer les étoiles quand la Terre a tant besoin de nous ? C’est l’une des questions posées par l’exposition pluridisciplinaire CHAOSMOS – Atterrir, s’enraciner, s’inscrivant dans une réflexion sur notre place dans l’univers et notre relation à l’environnement terrestre. Sous le commissariat de Jos Auzende et la scénographie de Lucie Gautrain, l’exposition réunit une constellation d’artistes dont les œuvres interrogent notre manière d’habiter le monde et de repenser notre coexistence avec le vivant.

En s’inspirant du terme Chaosmos, trouvé par James Joyce pour exprimer l’entrelacement du chaos et de l’ordre, l’exposition convoque des imaginaires où le cosmos et la Terre dialoguent. Les artistes exposés proposent une exploration où le macrocosme interagit avec le microcosme, où les étoiles se mêlent aux racines, et où la conquête spatiale est réévaluée et mise côte à côte aux crises écologiques contemporaines.

L’exposition se visite assez rapidement : une salle où toutes les œuvres dialoguent les unes avec les autres pour créer un univers de réflexion ludique à visiter seul ou à plusieurs. L’entrée libre et gratuite pour tous invite le visiteur à venir, rester sur place, échanger sur les œuvres, se poser dans l’espace café et la médiathèque.
La Terre et ses insectes
Parmi les œuvres marquantes, certaines évoquent directement la nécessité de reconsidérer notre rapport à la nature en s’inspirant du monde des insectes. Les abeilles, modèles d’organisation collective, illustrent une manière de se déplacer et de survivre en utilisant l’environnement de manière efficace. L’installation sonore de 250 petites enceintes, Essaim de Félix Blume, nous plonge dans le bourdonnement des abeilles, qui en voie d’extinction, se présentent comme annonciatrices de chaos. L’araignée hypnotisante de Virginie Yassef pose aussi son regard perçant sur le spectateur et interroge notre rapport à cet animal essentiel à notre écosystème. Source d’inspiration mythologique, cinématographique et sensorielle, la mygale nous confronte à notre propre répulsion et à la nécessité de dépasser nos peurs pour mieux comprendre le vivant.


Le voyage du monde naturel
La question de la migration et de l’adaptation se cristallise dans le fauteuil de l’artiste sud-africain Porky Hefer qui illustre la dissémination des graines d’érable en mêlant design et installation sonore. Comme elles se laissent porter par le vent pour coloniser de nouveaux territoires, l’artiste évoque son propre déplacement entre l’Afrique du Sud et la France. La graine peut-elle survivre dans un nouvel environnement ? L’installation pose ces questions en capturant le mouvement aérien des graines et les sons du mistral à Arles, enregistrant ainsi les dialogues invisibles entre les lieux et les êtres.

Ce même souffle traverse d’autres œuvres qui explorent la question de voyage, de déplacement sur Terre et dans l’espace. L’installation Portail de Masami (2025), représente un filet symbolisant les connexions inextricables entre individus, territoires et temporalités. En s’inspirant du tissage japonais, elle tricote des fibres végétales, du cuivre ou des fils textiles qui évoquent l’eau qui coule ou le souffle du vent. Elle tente ainsi de tisser un pont entre ciel et terre avec ce filet attiré par la gravité.
Le cosmos comme espace de critique et de réinvention
L’exposition ne se contente pas de célébrer le cosmos ; elle en propose aussi une critique. En proposant des visions parallèles de l’espace, ou de sa conquête, projet de mégalomanie humaine ultime.
Nolan Oswald Dennis, un artiste zambien revisite la cartographie céleste utilisée par les astrologues en détournant les représentations occidentales du cosmos pour mettre en lumière d’autres formes de savoirs et de visions du monde. Sa fresque, pièce remarquable de l’exposition, rappelle les grandes salles des cartes des monuments historiques, tout en y insufflant une nouvelle lecture décoloniale et poétique. Black Liberation Zodiac reprend les codes traditionnels de la cartographie et de l’astrologie pour matérialiser une conception noire de l’espace et du temps.

Dans cette même démarche, la sculpture Waiting for the sun – Spacewalker (En attendant le soleil, marcheur de l’espace) offre une perspective politique forte en interrogeant l’exclusion de l’Afrique dans la conquête spatiale. Tandis que les grandes puissances développent des programmes d’exploration, aucune nation africaine n’a encore eu l’opportunité de s’inscrire pleinement dans cette dynamique. Pour ce faire l’œuvre met en parallèle l’astronaute, figure conquérante, et l’habitant de Kinshasa, contraint de porter un masque pour survivre dans une mégalopole polluée. Le collectif Kongo Astronauts donne une apparence délabrée à ce cosmonaute qu’ils fabriquent à partir des déchets électroniques venus de l’occident et retrouvés sur les marchés de République démocratique du Congo.

Qui a le droit d’explorer l’espace, et sous quelles conditions ? Qui est exclu de cette course ? A quel prix ?
L’univers nous parle
Un distributeur de citations propose un vrai dialogue avec le cosmos, retransmettant des fragments de textes influencés par les fluctuations d’ondes radio captées depuis l’espace. Passez votre main sur la surface, comme sur une boule de cristal pour recevoir le message. Recombinaison de Véronique Béland est une œuvre hautement poétique qui fait écho à notre quête de sens et à notre désir d’interpréter les messages de l’univers. Un meuble surplombé d’une météorite, l’œuvre suggère que par cette pierre l’univers nous parle et nous conseille : fantasme éternel de l’Homme. Véronique Béland propose donc une expérience interactive et originale qui nous fait réfléchir.

Croyances et spiritualité
L’exposition nous invite aussi à réveiller notre spiritualité et nos conceptions animistes du monde pour avoir une vision globale de nos écosystèmes. En assemblant des artistes variés aussi géographiquement qu’artistiquement Jos Auzende offre une perspective pluri disciplinaire particulièrement intéressante sur le chaos et le cosmos.
Les photos documentaires de Roberto de la Torre invoquent des créatures issues de cérémonies traditionnelles ou folkloriques galiciennes. Microcosmos explore la relation entre l’être humain et le sacré en mettant en lumières ces figures qui amènent chaos et désordre dans le monde pour restaurer son équilibre.

Tabita Rezaire, artiste, agricultrice, doula et professeure de yoga, propose son triptyque Borderies faisant écho à la spiritualité et à la fragilité de nos écosystèmes. Son travail, ancré dans les mythologies africaines, met en lumière des figures divines brodées par des femmes Saramaca de Guyane. Mère Lune symbolise la maternité et l’influence des astres, Mère Terre célèbre la puissance du sol nourricier, tandis que Mère Soleil exalte la force vitale du soleil. L’œuvre propose donc une vision organique et holistique du cosmos, rappelant la nécessité de prendre soin du monde qui nous entoure.

À travers ces œuvres, CHAOSMOS nous invite à déconstruire et reconstruire nos perceptions, pour mieux habiter la Terre tout en gardant les yeux tournés vers l’espace. Il s’agit là d’une réflexion artistique intéressante et assez ludique à l’image de l’actualité politique. Les artistes ouvrent le débat et la discussion au Maïf Social Club : avant de vouloir coloniser d’autres mondes, il s’agit de réapprendre à connaître et prendre soin du nôtre.



Laetizia Pietrini
jusqu’au 26 juillet 2025
Maïf Social Club, 37 rue de Turenne, 75003, Paris
Entrée libre et gratuite : du mardi au vendredi de 10 h à 20 h 30 sauf le jeudi de 10 h à 22h. Lundi et samedi de 10 h à 19 h.