En pleine Année Mer 2025, les Franciscaines de Deauville et l’historien d’art Jean de Loisy souhaitent représenter l’océan comme nous ne l’avons jamais entendu, perçu. L’océan révélé. Bleu profond, du 28 juin au 21 septembre 2025, s’entend comme une plongée dans les abysses ; un coquillage révélant le souffle de la mer ; chuchotant le clapotis de mille trésors.

« La mer, qu’on voit danser » … puis s’étioler. Les douces notes musicales du Fou chantant Charles Trenet accompagnent notre imagination dès que la mer fait surface. Pourtant, loin d’une danse, c’est une certaine repentance que tente aujourd’hui l’Homme. Face à ce bleu, désormais le blues : comme un vague à l’âme qui viendrait chatouiller nos consciences endormies.
L’année de la Mer 2025, dont l’un des événements centraux est la troisième conférence des Nations Unies sur l’océanqui s’est tenue à Nice (Alpes Maritimes) du 9 au 13 juin dernier, est en ce sens révélateur de la timide, mais néanmoins réelle, prise de conscience des dirigeants et pays sur l’enjeu que représente la mer.
Protection, attention, détention : les sujets entourant ce Grand Bleu ne manquent pas. Un seul objectif semble guider la barque de ces discussions : éviter de boire la tasse.
« L’océan était au cœur de tous les enjeux du XXe siècle et il le sera encore plus dans les temps à venir », prophétise, sans trop se mouiller, Philippe Augier, maire de Deauvilleet Président des Franciscaines. Un « chemin vers la mer » : telle est la volonté affichée par Jean de Loisy en présentant ce Bleu profond censé révéler l’océan de mirage et d’héritage que représente cet espace liquide nous entourant.
Un grand bond dans les profondeurs ? Cette mer « a autant fasciné que épouvanté », confie le commissaire. Surtout, « l’essentiel reste encore à découvrir », comme un appel à une quête assoiffée de découvertes toujours plus lointaines dans les profondeurs des abysses.

Féconde, faconde
Autour d’une scénographie pensée en six temps par Constance Guisset, l’océan de Jean de Loisy se dévoile dans toute sa pluralité. Cette diversité du monde des abysses se ressent par le choix des objets et techniques exposés, tous très différents. Les approches sont multiples pour immerger, dès l’entrée, le visiteur dans cet océan d’imaginaires.
A l’image de Présage, grande fresque vidéo de l’artiste Hicham Berrada (2024), l’océan semble être un appel, un signe qu’il convient d’analyser. Le doux clapotis des vagues, le silence bruyant de l’eau qui tournoie, la légèreté profonde d’un mouvement continu iodé : la mer agite nos esprits autant qu’elle s’agite.

C’est cette activité insondable qui révèle toute la profondeur des abysses. En témoignent les légendes, dieux et déesses se rattachant à la mer, notamment Poséidon. Le Dieu grec règne sur la Terre car il règne sur la mer ; Moïse mythologique, il soulève toute la part violente des eaux sombres.
La mer et ses créatures sont, en effet, un monde impitoyable dont l’Homme sait qu’il ne peut triompher. Des Hameçons de requin (XVIII-XIXe), artisanat de la région océanique, raconte cette lutte, nécessairement asymétrique, entre requins et pêcheurs ; eau et terre ; surface et profondeur. Violence est aussi délice des abysses.

L’océan inspire une certaine faconde aux Hommes, autant qu’il apparaît comme un monde fécond. Ainsi, un véritable « univers du vivant » se déploie comme un banc de poissons passant sous nos yeux éblouis.
S’appuyant sur des prêts prestigieux du Musée océanographique de Monaco, de la Bibliothèque Nationale de France, mais aussi du Musée d’Orsay, le Bleu profond des Franciscaines propose une plongée dans l’étonnant monde des « herbiers à poissons », véritable cabinet de curiosité marin qui se développe au tournant des XVIII et XIXe siècles.


La science observe la mer, tente de la figer pour la représenter. L’exposition s’attache en ce sens à revenir sur les débuts de l’aquarium, véritable tremplin à l’exploration des fonds marins. Des dessins du poète et écrivain français Victor Hugo, fasciné par l’image de la pieuvre, témoignent également de toute la sensibilité et créativité des profondeurs.

Cet appel du large, cette brise marine poétique atteignent enfin leur acmé sur le carton de tapisserie de Gustave Moreau, Le poète et la sirène (1895).

Périssoire
Oxymore dangereux ou fusion naturelle ? La sirène incarne « cette figure qui mêle séduction et effroi » soulignent les Franciscaines. Enchanteresse, elle semble aujourd’hui rimer avec détresse. L’exposition se conclut ainsi sur une dernière partie centrée sur les « Naufrages ». Terme polysémique s’il en est, ces derniers menacent « le fragile navire qu’est notre Planète ». Personnifier pour mieux révéler.
Jean de Loisy insiste sur son choix de terminer ce « parcours immersif, impliquant les corps » par cette ouverture plus dramatique. « Il y a des merveilles sous les mers, mais il n’y a pas que ça. Ce naufrage, exprime-t-il, nous le partageons », conscient que l’admiration pour les mers est sans doute responsable des aberrations qui l’entourent aujourd’hui.


L’exposition reflète en définitive les enjeux d’appréhension actuels du monde marin. L’océan, miroir de nos agissements ? Les « reflets d’argent » ont aussi des « reflets changeants ». La rime de Charles Trenet ne périme point : la mer révèle notre reflet et nous le renvoie.
Gabriel Moser.
du 28 juin au 21 septembre 2025.
Les Franciscaines, 145b Avenue de la République, 14800 Deauville.
Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 10h30 à 18h30.