Âmes vertes : une mise au vert exigeante de l’art

Du 8 février au 1er juin, la Fondation EDF et la Friche de la Belle de Mai à Marseille sont en quête d’Âmes vertes. Entre éloge d’une nature en perdition et imagination d’un nouvel horizon verdoyant, l’exposition souhaite révéler « l’affrontement » entre l’art et l’anthropocène.

« L’avenir est une construction collective » annonce en guise de note d’intention la Fondation EDF. Mais comment faire pour que le courant passe encore entre les différentes branches de la société à l’aune d’une période trouble ? Parmi les réponses possibles, EDF a choisi l’art. En soutenant des projets divers ainsi que « 300 associations » en lien avec l’éducation notamment, la firme entend apporter sa pierre à l’édifice d’un monde nouveau à construire.

Âmes vertes, quand l’art affronte l’anthropocène se situe précisément dans cette volonté. Le pari est audacieux : faire se réunir artistes et architectes pour réfléchir sur un même thème, la nature, et surtout proposer des solutions. « On y trouve des ressources pour penser et agir » souligne en ce sens Paul Ardenne, historien de l’art et écrivain, commissaire principal de l’exposition.

Plus qu’une simple proposition artistique, Âmes vertes se veut être une boussole dans ces temps obscurs ; un ultime signal avant que le monde ne franchisse sa ligne verte.

Engager une réflexion

L’exposition part d’un constat évident : notre entrée dans l’ère de l’anthropocène. Cette période qui voit l’Homme devenir le principal moteur – car émetteur – des changements qui s’opèrent à la surface de la planète.

L’exposition se penche sur l’ensemble des conséquences, parfois minimes, mais jamais anodines, de nos activités. Le travail de Suzanne Husky, Histoire des alliances avec le peuple castor, explore ainsi la concomitante du développement humain avec le recul de celui des castors. (cf : https://itartbag.com/suzanne-husky-le-temps-profond-des-rivieres/)

Emportés par l’histoire de ce Père Castor à travers les âges, on distingue par delà les barrages érigés, les barrières psychiques qu’il nous faut abolir pour colorer notre âme de vert. La première étape semble, en effet, mentale et procéder d’une déconstruction, sinon d’une ré-adaptation, de notre mode de fonctionnement.

Telles les abeilles, cette petite société qui connaît la crise, l’artiste Luce Moreau souligne la nécessité de repenser, réhabiliter, notre ruche commune.

Notre agora d’hier déconstruite, place à Hémicycle 2. Recoller les morceaux, ré-imbriquer les différentes pièces de notre société divisée : l’artiste voit notre maison commune non comme une chose finie, mais bien comme un outil malléable.

Plus la scénographie d’Âmes vertes avance, plus l’on distingue en définitive le bourdonnement pressant de l’appel au changement. Pour continuer à butiner et faire notre miel en toute quiétude, il faut entendre la nature, la laisser s’exprimer.

Cette dernière a une couleur, le vert donc, mais aussi une voix. Celle notamment des animaux en voie d’extinctions ou disparus. C’est à ces chants sombres, pénétrants, qu’ont décidé de rendre hommage à Lucy et Jorge Orta.

Dans une œuvre quasi théâtrale, Symphony for absent wildlife présente des choristes fardés d’une tête d’animal ; chantants tel un cri plaintif, la sourde colère de ces bêtes. Une captation audio et vidéo de cette performance est proposée dès la première salle de l’exposition : une manière d’inviter le public à hurler avec les loups, pour la bonne cause cette fois-ci.

Trouver des solutions

Au-delà des propositions artistiques, plastiques, Âmes vertes trouve également une certaine consistance au travers d’une plongée dans le domaine scientifique. L’articulation entre art et science est ainsi particulièrement savoureuse et instructive.

C’est le cas de Safe, œuvre audiovisuelle d’Ali Kazma. L’artiste s’interroge sur la conservation des choses en filmant l’austère bâtiment Global Seed Vault (Norvège). Depuis 2008, cette bâtisse joue un rôle singulier : elle est la « réserve mondiale de semences » pour parer à l’éventuelle disparition de certains éléments qui forment notre biodiversité. Qui sème le vent…

Alors que la science évoque une sixième extinction de masse (disparition annoncée de 7,5 à 13% de la biodiversité depuis l’an 1500), comment espérer sortir safe et sauf, sinon indemne, de cette période ? N’avons-nous pas déjà vendu notre âme au diable – qui se situerait on ne sait où, au diable Vauvert – ?

Pour l’exposition pourtant, les solutions sont à notre portée. « Eclairons les avenirs » plutôt que de les assombrir : tel est le maître mot d’une proposition qui se veut encourageante et positive.

Cet éclairage du futur passerait notamment par une refonte de nos habitats urbains. C’est ce qu’essaye d’explorer le versant architectural de ces Âmes vertes en friche.

On notera, entre autres, la réflexion autour d’un « urbanisme paysage » de Jean Paul Viguier. Ce dernier propose sa Tour Majunga pour le quartier de La Défense à Paris ; en concurrence avec celle du studio Ferrier Marchetti, nommée Hypergreen.

Arrivés à ces hauteurs, nous sommes cependant pris d’un doute. Cette course au sommet, au gigantisme, relèvent-t-elles encore de l’affrontement entre art et anthropocène, ou bien d’une ultime provocation ? Derrière une volonté assumée – et louable – de ne pas tomber dans ce trop commun et actuel fatalisme d’ambiance – et son corollaire la décroissance – Âmes vertes peine pourtant à convaincre concrètement. La faute à un volet architectural quelque peu dissonant, abrupt, par rapport au propos global.

Où se situe l’horizon vert dans la représentation d’un habitat strictement urbain promue par l’exposition ? Plus qu’une âme, c’est désormais une conscience, traduction intellectuelle des forces de l’esprit, qu’il faut verdir.

Gabriel Moser
photos : La belle de Mai.

Âmes vertes, quand l’art affronte l’anthropocène

Du 8 février au 1 juin 2025

Friche de la Belle de Mai, 41 rue Jobin, 13003, Marseille.
Du mercredi au dimanche de 13h-19h.