« On va au café pour être dans un cocon sonore qui montre qu’on fait partie de la société », estime la psychosociologue Josette Halégoi. Selon elle, cette disparition provisoire de ces temples de la convivialité ces derniers mois a « sans doute renforcé le sentiment de solitude et d’exclusion des citoyens isolés, voire paumés, pour qui l’estaminet est le seul endroit pour parler ».
Ce qui n’est pas pour déplaire à notre cher confrère Pierrick Bourgault, ingénieur agronome de formation, qui a vécu son enfance dans l’ambiance particulière du café de son grand père en Mayenne, et a publié une quinzaine d’ouvrages sur les cafés, des bars-concerts parisiens aux estaminets du vaste monde. Il a signé notamment « Bitroscope », « L’histoire de France racontée de cafés en bistrot » et « La Mère Lapipe dans son bistrot ».
L’auteur nous plonge avec passion, dans l’univers des cavernes aux tavernes, dans ces maisons conviviales ouvertes à tous, avec son lot d’histoires intimes et minuscules mais aussi peuplées d’espions et de résistants qui font alors l’Histoire « remplie de bruits et de fureurs », mais aussi de rendez-vous dans cet « autre chez soi » et de rencontre sociale qu’est au fond le café bistrot bien de chez nous. Tout en traquant pour mieux les démystifier les jolies légendes urbaines trop belles pour être vraies, comme l’origine russe du mot « bistro » par les cosaques qui occupaient Paris en 1814.
Notre photojournaliste Pierrick – qui aime observer et décrire tout en restituant la lumière du lieu et de l’instant, voue une tendresse particulière à ces « creusets sociaux » dont le concept est simple et n’a guère changé depuis l’antiquité – des tables, des sièges et un comptoir.
Il récidive cet automne avec son dernier bébé baptisé « Au bonheur des bistrots ».
Il contient plus d’une centaine de photographies prises sur le vif du comptoir qui témoignent d’une belle humanité, d’intenses moments de fête et de partage, d’instants suspendus de rencontre ou de solitude. Il leur rend un hommage presque militant, soutenu par la préface engagée et poétique de François Morel, un célèbre pilier de bar qui n’est pas le dernier à lever le coude… sans (trop) se prendre au sérieux. L’humoriste écrit d’emblée en jonglant sur le rapport entre bon vin et sacré : « Les bistrots sont des églises où les fidèles, en solitaire, en procession, vient prier saint Emilion et saint Estèphe, saint Aubin et saint Véran, saint Joseph et saint Julien, saint Chinian et saint Pourçain. Et saint Nicolas pour peu qu’il soit natif de Bourgueil. Les bistrots sont des chapelles où l’on vous apprend que Dieu est saint Amour (…) Les bistrots sont des cafés-théâtres quand le patron rigolard assure que « Tout travail mérite sa bière ».
Christian Duteil
Au bonheur des bistrots, de Pierrick Bourgault
Editions de La Martinière, 128 pages, 25 €
Parution : le 28 octobre 2022