L’Irlande de Martin Parr

Au centre culturel irlandais, les photographies de l’anglais Martin Parr sont exposées au côté de travaux réalisés par d’anciennes étudiantes de la Belfast School of Art : Megan Doherty, Rachel Glass, Jan Mc Cullough et Jill Quigley.

Martin Parr naît en 1952 dans une petite ville de banlieue au sud de Londres, et s’installe en 1980 en Irlande, pays avec lequel il a toujours entretenu un lien étroit. Sa première visite en 1979 est concomitante de celle du pape Jean-Paul II. Le but de Parr est alors de capturer des images de la ferveur provoquée par la présence du Saint-Père.

Le noir et blanc, représentatif de la première période Parr, va de pair avec un œil entre sociologie et humanisme. « Dans les années 70, si vous faisiez de la photographie, c’était plutôt documentaire, vous étiez toujours obligé de travailler en noir et blanc. La couleur était beaucoup plus liée à l’instantané, beaucoup plus proche de la photographie publicitaire. »

Dans le cadrage de St Mary’s Holy Well (1981), Parr arrive à inclure trois plans dans l’espace : la vierge devant nous, un mur qui barre l’horizon, et derrière celui-ci, une nouvelle Marie portant son bébé ainsi qu’un nouveau Saint-Joseph, un chapelet à la main. La question ironique sous-jacente est celle de l’apparition de la vierge : est-elle une simple statue au milieu d’un champ ou une vision extatique des croyants irlandais modèles ?

Dans les années 80, Parr arrive à la couleur qu’il ne quittera plus. Il est un grand novateur de la photo couleur, négligée et méprisée par la critique jusqu’au début des années 80. Ses photos marient un hyperréalisme kitsch avec une déréalisation du monde par l’usage impitoyable du flash. Dans Shannon Airport, County Clare (1994), la vieille dame au manteau léopard regarde le spectacle envoûtant de la marchandise. L’Irlande est en train de perdre son âme, ses racines populaires, et de troquer pour un bout de confort et de surplus ses traditions et sa culture qui en faisaient une exception à l’échelle européenne. Les plaisirs du mode de vie à l’américaine sont tournés en dérision dans la photographie cocasse, A drive-thru Mc Donald’s, Nutgrove Shopping Centre, Dublin, (1986) où l’on aperçoit un homme confus devant le tout premier drive-in de Mac Donald en Irlande.

Les jeux sont faits, le réel est devenu une image publicitaire. Peu à peu, Martin Parr se sert du langage de la photographie commerciale, basé sur l’éclairage du sujet et la saturation des couleurs : « Il s’agissait d’apprendre ce langage propre à la publicité et à la mode, et de l’appliquer aux documentaires. » On dirait que Parr ne prend plus en photo le monde, mais sa contrefaçon marchande. Dans Luxury-Galway races (1997), la mouche qui se pose sur le bord du chapeau à la lady Diana est sa signature d’adepte du mauvais goût qui prend plaisir à entacher le cliché parfait. Son ironie se distingue ainsi de l’appropriationnisme post-moderne à la mode d’un Richard Prince, qui reproduit telles quelles les images publicitaires en les signant de son nom.

Caractérisée par son sarcasme féroce, l’œuvre de Martin Parr rejoint le domaine de la photographie documentaire, mettant en lumière les mutations fondamentales des sociétés qu’il a observées. On   remarque dans ses photographies, le passage d’une économie de production industrielle à une société de services dominée par les loisirs, la télévision, les centres commerciaux, les jeux vidéo, le tourisme etc. Le regard sociologique de Parr dit les mutations du monde globalisé dans lequel nous vivons, pas seulement en Irlande, mais désormais partout dans ce « Small World » (Martin Parr, Small World, 1990–2017)

Perrine Decker

du vendredi 11 novembre 2022 au 8 janvier 2023

Centre culturel irlandais, 5 rue des irlandais, 75005 Paris

Tous les jours de 14h à 18h, mercredi jusqu’à 20h. Entrée libre

Informations :  https://www.centreculturelirlandais.com/