Brendan Mcfarlane, architecte

Le Wanderlust, le restaurant Georges du centre Georges Pompidou, le FRAC d’Orléans, tous ces établissements surprennent par leur architecture à la fois futuriste et organique. Ces structures émerveillent et questionnent notre sens de l’esthétique ainsi que notre définition de ce qu’est un bâtiment. Pour comprendre cette architecture unique, il faut s’intéresser au maître penseur derrière ces œuvres d’ingénierie et d’art : le cabinet Jakob+Macfarlane. Créé en 1998, ce dernier est composé de deux architectes, Dominique Jakob et Brendan Macfarlane. J’avais déjà échangé avec Brendan Macfarlane lors de l’exposition DesignxDurablexDésirable, mais je souhaitais comprendre plus en profondeur son art, ce qui a mené à cet interview. Pendant un long moment ensoleillé, Brendan Macfarlane a accepté de m’initier à son parcours et surtout à sa définition de l’architecture.

Portrait de Brendan Macfarlane Photo © Alexandre Tabaste :

Je retrouve Brendan Macfarlane près de son bureau pour un verre en terrasse. Architecte néo-zélandais, il a étudié à la Southern California Institute of Architecture (Sci-Arc) de Los Angeles et a effectué son Master à la Harvard Graduate School of Architecture de Boston. Il exsude une élégance naturelle, un chic presque à l’anglaise qu’il souligne par de grandes enjambées accompagnées par son accent typique néo-zélandais. C’est d’ailleurs son pays d’origine qui a joué un grand rôle dans la formation de sa passion. Selon lui, la Nouvelle-Zélande entretient une relation privilégiée avec l’architecture : des bâtiments entiers sont façonnés dans des paysages extrêmes, créant un lien très fort entre l’Homme et la Nature. Cette relation pose la question de ce qu’est un bâtiment, son rapport avec nous et comment il exprime notre présence sur la Terre. Sur une note plus personnelle, l’architecte m’explique que le cabinet Jakob+Macfarlane a été fondé sur le bonheur d’avoir un dialogue fertile avec une personne dotée de qualités qui « déclenchent les siennes ». Dans le cas de Brendan Macfarlane, ce fut Dominique Jakob. Bien que leur cabinet soit basé à Paris, les deux architectes souhaitent dans le futur ouvrir un deuxième cabinet en Nouvelle-Zélande pour travailler avec des nouveaux paysages, et surtout la joie d’être près de l’eau.

C’est cette vision de l’architecture que Brendan Macfarlane souhaitait transmettre à ses élèves durant ses nombreuses années en tant que professeur (il a enseigné à l’école Bartlett of Architecture de Londres, à l’Architectural Association de Londres, ainsi qu’à la Special School of Architecture de Paris et à the Southern California Institute of Architecture de Los Angeles). Ce choix de profession était naturel pour lui, lui-même très bon orateur et voyant l’explication de l’architecture comme un moyen « d’affûter ses compétences ». Il me raconte avec un sourire teinté de nostalgie l’exercice où il avait demandé à ses élèves de créer une île virtuelle et d’en désigner un souvenir matériel. Pour concrétiser le devoir, il avait emmené ses élèves sur une île au Nord de l’Ecosse où ils devaient passer quatre à cinq jours à étudier son passé, son présent, sa flore et faune, l’impact des touristes… Résultat : des souvenirs extrêmement personnels, recélant d’imagination et de créativité. Les élèves avaient réussi à faire du passé et de leur expérience une nouvelle manière radicale de voir le futur.

Pour Brendan Macfarlane, il est crucial de se pencher sur le passé pour créer un design fort, qui résistera à l’épreuve du temps et qui aura une résonance dans son milieu. C’est pour cela qu’il parle d’une « culture de l’architecture » car lors du processus de design, « quand on arrive sur un lieu (pour un projet) on peut dire que 80% de ce qui s’est passé est déjà parti ». C’est là que se posent les questions de « que faut-il incorporer du lieu au design » ? « Quel est le plus important ? ». Ainsi, toute la recherche faite au préalable sur l’histoire d’un lieu et son interaction avec ses habitants (humains ou non) permet de donner au projet une « ancre », une signification qui liera harmonieusement le design au lieu. Le restaurant Georges du centre Pompidou en est un exemple. Le cabinet Jakob+Macfarlane est contacté pour la compétition de design du nouveau restaurant du centre Pompidou avec pour énoncé « un restaurant qui nous amène dans le 21 ème siècle ». Dès que les deux architectes pénètrent sur les lieux, ils sont intimidés par la charge symbolique du centre et la multitude d’informations à traiter. Mais une caractéristique les marque plus que tout : la géométrie de la structure. De cette réalisation, les deux architectes décident de prendre l’intérieur du lieu pour l’afficher à l’extérieur, tel un exosquelette, permettant son insertion parfaite à la bâtisse de tuyaux et de conduits (cette idée peut être retrouvée dans la bâtisse du Wanderlust). Ce projet signera l’envol du cabinet Jakob+Macfarlane, les propulsant non seulement sur la scène nationale mais aussi internationale. Le restaurant Georges restera aussi gravé dans la mémoire des architectes grâce à son énoncé que Brendan Macfarlane qualifie de “rêve”. Pourquoi cet adjectif si positif ? Parce que grâce à sa simplicité, cet énoncé instaure une confiance forte en la créativité des architectes. C’est d’ailleurs pour ça que Brendan Macfarlane souligne l’importance de la confiance entre un commanditaire et un architecte. Pour lui, les plus beaux projets viennent d’énoncés simples.

Le restaurant Georges Photo ©Nicolas Borel :

L’intérieur du restaurant ©Stephane Couturier :

Deux autres éléments cruciaux de la définition de l’architecture de Brendan Macfarlane sont l’importance des bâtiments dans les changements climatiques que nous vivons et le fait de ne pas craindre l’évolution d’un projet. La première caractéristique se retrouve dans le projet du FRAC d’Orléans, Les Turbulences. Ce dernier utilise les données météorologiques comme interface pour les lumières de la structure, faisant de ce bâtiment un acteur dans la prise de conscience climatique en nous mettant littéralement face à la période de plus en plus perturbée que nous traversons.

Quant à la deuxième caractéristique, c’est lors du projet du Cube Orange à Lyon que l’architecte en a compris l’importance. A ses premières étapes conceptuelles, le Cube devait être transparent et orange, pour faire penser à un « poisson dans un aquarium ». Malheureusement, à cause des nouvelles lois thermiques, cette transparence était interdite. Cela a poussé les architectes de Jakob+Macfarlane dans leurs retranchements : tous deux avaient peur de perdre la puissance de leur design en le rendant plus opaque. Mais, en prenant le parti de créer deux couches de matériaux percées de petits trous, ils ont découvert que la réflectivité atteinte rendait leur design d’autant plus puissant. Ainsi, un design n’est pas quelque chose de fixe, c’est quelque chose ayant une vie propre, qui évolue pour atteindre d’autres sommets insoupçonnés au départ.

Le Cube Orange Photo ©Roland Halbe :

A la question du meilleur conseil qu’il ait eu sur sa carrière d’architecte, mon interlocuteur hésite un instant mais parle avec un grand sourire de Claude Parent, grand homme considéré comme le père de l’architecture avant-gardiste. Les trois architectes avaient noué une forte amitié et s’envoyaient régulièrement des lettres, souvent accompagnées de conseils de la part de Claude Parent. C’est d’ailleurs lors de l’ouverture du restaurant Georges, après que Brendan Macfarlane lui ait fait la visite guidée que Claude Parent avait fait l’un des plus beaux compliments qu’un architecte puisse avoir : « ce mec est un architecte ». Un autre conseil plus absurde mais non moins marquant a eu lieu lors des années universitaires de Brendan Macfarlane, quand il était passé devant l’un de ses tous premiers jurys. L’architecte rit en se rappelant que l’un des jurys avait proclamé que son stylo était trop épais, ce à quoi un autre membre lui avait rétorqué « c’est absurde, cela signifie qu’il doit uniquement dessiner avec des stylos fins ? », « oui c’est ce qu’il devrait faire vu qu’il est déjà très bon avec des stylos épais, il devrait dessiner qu’avec des stylos fins ! ». Et c’est ce que Brendan Macfarlane a fait, et cela lui a permis d’améliorer son art en le poussant à plus se concentrer quand il plaçait une ligne, le rendant plus précis, réfléchi. C’est aussi pour cela que malgré les nouvelles technologies et outils qui apparaissent, le dessin reste le processus le plus important pour les ébauches de design. Bien qu’un projet puisse utiliser tout type d’outils, le dessin manuel à un lien direct avec l’intuition et le cerveau. Il émerge directement de la réalisation : le moment où le designer découvre que c’est de cette manière qu’il doit réaliser un projet. Cette réalisation peut venir de partout, même de quand « on touche le rebord d’une table ». Mais attention, « tout outil n’est qu’aussi bon que la personne qui le manipule » !

Pour ce qui est du futur de l’architecture, Brendan Macfarlane est clair : il faut absolument tendre vers une architecture innovante et écologiquement responsable qui ne gaspille pas de ressources mais il est crucial de ne pas perdre des idées au profit d’une empreinte carbone zéro. Le monde est en train de se réunir pour former une communauté qui prend au fur et à mesure conscience de sa responsabilité dans la formation du monde de demain. Ainsi, les architectes doivent rester des créateurs tout en accomplissant des objectifs et doivent produire une architecture pas uniquement centrée sur l’ingénierie (« qui n’est pas une fin en elle-même », car on ne peut pas vivre dans un monde de « pure technique »). Le focus devrait se faire sur l’innovation, comment réinventer des éléments de tous les jours (objets ou bâtiments) qui respectent l’environnement pour sécuriser un meilleur futur. Plus important encore, la créativité doit garder son rôle majeur et permettre de créer des designs à la fois producteurs de joie, de surprise et d’innovation.

Clara Alle