Je ne connais pas l’auteur, n’en ai jamais entendu parler. L’argumentaire de son livre, Ecorché, m’a interpelé et j’en ai commencé la lecture avec curiosité :
Benjamin Langlois, jeune galeriste arrogant et désabusé, est à la recherche du « coup » qui lui permettra de rafler la mise sur le marché de l’art contemporain. Lorsqu’il entend parler d’une modification de la loi qui tend à légaliser la vente d’organes, il a une idée…
Est-il possible d’acheter et de vendre des tatouages humains ? Pourquoi ne pas spéculer sur cet art éphémère ?
Aidé de ses amis les plus proches, Alan, un avocat et Roni, un tatoueur de renom, il ira jusqu’au bout de ce sinistre projet. Ce roman est une critique de l’art contemporain autant qu’un hommage au monde du tatouage.
Dès les premières pages, je me suis dit qu’il connaissait bien le milieu de l’art, des galeries et de certaines dérives liées à cet univers.
«J’ai fait quatre ans d’études d’histoire de l’art et j’ai vite compris qu’à part me faire passer pour un mec cultivé, cela ne me servirait à rien, pas même à bouffer.
Du coup, je suis parti en école de commerce et je me suis mis à vendre de l’art dans ma propre galerie. J’expose des conneries toutes plus ridicules les unes que les autres et je les vends à des connards qui veulent placer leur argent. J’ai beau avoir la capacité de reconnaître une véritable œuvre, je fais semblant de croire en notre « art contemporain ».
Aujourd’hui, nous vendons à prix d’or les réalisations d’« artistes » qui font du caca en conserve, mettent des crucifix dans du pipi ou qui peignent avec leur propre gerbe. Voilà ce qu’est devenu l’art, loin des représentations de la spiritualité, des procédés énigmatiques et de l’œuvre millénaire. Bien plus faussaires que les faussaires eux-mêmes, nous avons réussi à détruire ce que l’art avait été de tout temps : une marque de notre histoire. J’imagine les réflexions et le désarroi de ceux qui, dans deux cents ans, essaieront de comprendre notre civilisation grâce aux artistes de notre époque, quand ils passeront de Donatello, Michel-Ange, Poussin, Fragonard, Modigliani ou Dalí à McCarthy et son plug anal géant.
J’ai beau être un connard prétentieux et obtenir une grande satisfaction grâce aux revenus que je me verse, je reste assez lucide sur la réalité de mon métier. Mes arguments de vente sont toujours très pompeux et perfides pour refourguer ces merdes, mais ça marche ! »
Ce roman nous fait entrer dans un monde presque en parallèle de la réalité – presque ? en lisant certains faits divers, la réalité dépasse la fiction – une fiction qui fait froid dans le dos – que ce soit celle des œuvres d’art (ou qui se définissent ainsi à grands coups de publicité et de buzz forcément éphémère et blingbling) ou de l’idée trouvée par le galeriste (en même temps, ce n’est pas une trouvaille puisqu’elle a déjà fait les gros titres de l’actualité en 2008 : En 2008, un Suisse a déjà procédé à l’exercice. Pour la coquette somme de 150’000 euros, Tim Steiner s’est fait tatouer un dessin original de l’artiste belge Wim Delvoye. Puis, l’œuvre et son porteur ont été acquis par un collectionneur allemand : une démarche visant à questionner l’art contemporain. L’argent de la vente a été redistribué entre l’artiste, le porteur de l’œuvre et le galeriste. Depuis, la vie de Tim Steiner consiste à poser, de longues heures, dos au public, pour que l’œuvre de Wim Delvoye puisse être vue. À la mort de Tim Steiner, le propriétaire de son dos prendra possession du dessin.) ou surtout de ces vautours qui gravitent …
Mais je ne vais spoiler l’histoire en vous la racontant.
Ce livre est une belle découverte – une histoire d’amitiés entre les personnages aux caractères bien marqués – la mise à l’honneur de l’art du tatouage et de ses spécificités, la passion de l’artiste tatoueur – l’analyse pertinente de notre société… et quelque peu cynique de celui de l’art.
L’intrigue originale de ce roman ouvre les portes d’un univers à la fois sombre et palpitant. Quand la soif de réussite fait explorer les chemins sinueux…
Un roman détonnant, prenant et étonnant !
Écorché, de Maël Aubert
Les Éditions du Panthéon – Sorti le 22 juillet 2022 – 200 pages – 19, 90 €