Füssli ou l’esthétique des rêves sombres au Musée Jacquemart-André

Issues de collections publiques et privées, une soixantaine d’œuvres contournant les règles académiques est révélée au public dans un écrin feutré rouge sang spiritualisant ses dégradés. D’origine Suisse mais londonien d’adoption, artiste de l’imaginaire et du sublime, précurseur du romantisme noir, Johann Heinrich Füssli (1741 – 1825), explora dans une veine fantastique les tragédies shakespeariennes, les mythes antiques et bibliques, les cauchemars, la sorcellerie, les visions… avec la femme au cœur de l’œuvre.

Fils d’un père peintre et historien de l’art, Füssli fut un temps pasteur et commença tardivement sa carrière artistique, lors d’un premier voyage à Londres, sous l’influence de Sir Joshua Reynolds, président de la Royal Academy. Après un long séjour en Italie, envoûté notamment par la puissance des compositions de Michel-Ange, il se réinstalla à Londres à la fin des années 1770 où il fut élu membre associé de la Royal Academy en 1788, puis académicien en 1790. Artiste atypique et intellectuel, Füssli puisa son inspiration dans des sources littéraires variées qu’il passa au filtre de son imagination. Tout en travaillant de manière sérielle, il développa dans sa peinture un langage onirique et dramatique, où se côtoyèrent sans cesse le merveilleux et le fantastique, le sublime et le grotesque.

C’est en 1782 qu’il présenta sa première version du Cauchemar, œuvre emblématique de son imaginaire angoissé qui assît véritablement sa carrière de peintre. Pour la première fois, le sujet est une création pure et non tirée de la littérature. Le Cauchemar, soumis à de nombreuses interprétations n’a toujours pas délivré ses secrets. Son incernable esprit exalte la force troublante liée à sa composition érotique dans un contexte de terreur. Véritable icône de la psychanalyse illustrant le « ça », Freud lui-même, fasciné, affichait la version gravée dans son cabinet. Avant lui, Goethe acquis une deuxième version à l’huile, construite en verticalité, pour enrichir sa collection.

Dans le sillage du succès du Cauchemar, Füssli développa des sujets provoquants et inquiétants. Il introduit le thème de la sorcellerie et du féérique où plane l’étrange. Rites sacrificiels, créatures démoniaques et mystérieuses devinrent des éléments clés de son art gothique marquant les consciences.

La femme y occupe une place privilégiée dans un rôle de pouvoir et de domination. Dans ses dessins très personnels, ses sensuelles héroïnes sont toujours théâtralisées. Füssli éprouvait une fascination pour les chevelures et les coiffures élaborées, qu’il représentait à de multiples reprises et sous toutes leurs formes. La coiffure devint un signe de puissance, tandis que des tenues extravagantes complétèrent la mise en scène dans ses dessins. L’artiste entretint des relations passionnées avec ses modèles comme Sophia Rawlins qu’il épousera en 1788. La femme de lettres et philosophe féministe Mary Wollstonecraft s’enticha de lui et lui proposa de l’accompagner à Paris pour suivre les évènements de la Révolution française…

Organisée thématiquement, l’exposition sonde l’ensemble de l’œuvre de Füssli, à laquelle aucune exposition monographique n’avait été consacrée à Paris depuis 1975.

Découvrez l’univers saisissant de cet artiste rare dans les collections françaises, « Entre rêve et fantastique ».

Texte et photos : Valmigot

jusqu’au 23 janvier 2023

Musée Jacquemart-André, 158 boulevard Haussman, 75008 Paris

Ouvert tous les jours de 10h à 18h

Nocturnes les lundis jusqu’à 20h30 en période d’exposition

www.musee-jacquemart-andre.com