La couleur de l’eau

Le FRAC Grand Large porte bien son nom. Situé en bord de mer, il surplombe le port et offre à la vue l’étendue maritime, ses vagues et ses nuances changeante au fil des marées et du temps.

L’exposition La couleur de l’eau ne pouvait trouver meilleur écrin pour la présenter…

Photographe des paysages sous-marins, Nicolas Floc’h essaie de « rendre visible l’invisible » — capturer la couleur de l’eau en Baie de Somme mais aussi dans les océans, les mers, le long des fleuves — et aider ainsi à étudier des écosystèmes menacés. « La dimension picturale immersive du milieu marin, son apparente abstraction, en fait un espace complexe d’exploration de la couleur, de la lumière et du vivant qui la compose »

Nicolas Floc’h appréhende la masse d’eau comme un espace pictural, sensible et immersif, mais aussi en tant que fabuleux régulateur écologique, peuplé de phytoplancton qui participe aux échanges gazeux entre l’air et la mer. « La science permet d’affiner cette compréhension de la couleur qui n’est pas que picturale, formelle ou plastique. C’est une image visuellement abstraite mais fondamentalement concrète, une synthèse et, quelque part, une illustration figurant de grands enjeux de notre société et l’histoire du vivant. »

Les soixante relevés photographiques du littoral du Nord, présentés en grille, passent du brun au vert en adoptant des teintes ambrées, orangées, kaki, absinthe ou encore émeraude. Des variations étonnantes qui doivent beaucoup aux courants de l’estuaire, quand l’eau douce du fleuve devient saumâtre. Nous sommes loin des dégradés des bleus méditerranéens explorés dans une autre série accrochée en ligne. L’imaginaire commun des couleurs de l’eau s’enrichit ainsi des différents monochromes issus des mers, des fleuves et des océans du monde et qui dialoguent dans l’exposition. Un univers visuel étonnant et bigarré, dont l’artiste s’attache à saisir les nuances : des couleurs chaudes liées aux sédiments, matières organiques et inorganiques dissoutes, matières détritiques (résidus de matières), et des teintes allant du bleu au vert déterminées par la densité du phytoplancton

Le phytoplancton est constitué de l’ensemble des organismes unicellulaires présents dans les eaux de surface (bactéries photosynthétiques et microalgues). Leur sédimentation sur des millions d’années a contribué à la formation du pétrole mais aussi à celle des roches calcaires dont les célèbres pierres bleues du Hainaut. À partir des technologies de modélisation 3D, Nicolas Floc’h a fait réaliser dans cette pierre bleue des agrandissements de diatomées, permettant d’apprécier la variété de leurs formes. L’exposition au Frac Grand Large réunit ainsi, pour la première fois, différents aspects d’une recherche toujours en cours et qui relie la terre et la mer pour mieux traduire les flux invisibles qui nous traversent.

C’est à Wimereux, à partir de 2016, avec la rencontre d’Hubert Loisel de l’Université du Littoral Côte d’Opale (ULCO) et de Fabrice Lizon du Laboratoire d’Océanologie et de Géosciences (LOG) – UMR 8187, qu’il développe une nouvelle recherche portant sur la couleur de l’eau, accompagné par artconnexion (Lille). Nicolas Floc’h avait déjà réalisé un « monochrome » photographique sous-marin en 2004 mais depuis 2016 il sillonne les mers afin de prélever photographiquement des couleurs et dialogue avec les équipes scientifiques jusqu’a mettre au point un véritable protocole de prise de vue permettant de réaliser, à l’image d’un carottage dans un sol, des coupes dans les masses d’eau.

En 2021, avec les équipes scientifiques de Wimereux, ils cartographient la mer entre la Baie de Somme et la mer du Nord. L’artiste plonge pour réaliser ses vues à différentes profondeurs tandis que Fabrice Lizon mesure le spectre de la lumière dans la colonne d’eau et Hubert Loisel analyse les relevés satellitaires. La turbidité, qui définit le caractère plus ou moins trouble de l’eau, déterminée par les éléments optiquement significatifs, modifie l’arrivée de lumière et influence les couleurs de la colonne d’eau. Pour l’artiste, « la turbidité serait au paysage sous-marin ce qu’est l’horizon au paysage terrestre, son point de fuite, vers le monochrome. »

Une exposition poétique qui nous invite à explorer la couleur du point de vue artistique et scientifique, et les enjeux sous-jacents de l’eau comme régulateur écologique.

Dans la salle de projection, un film – à ne pas manquer – permet de mieux appréhender le sujet et l’exposition.

Du 2 avril au 4 septembre 2022

FRAC Grand Large – Hauts-de-France, 503 avenue des Bancs de Flandres, 59140 Dunkerque

Ouvert du mercredi au vendredi de 14h à 18h – samedi et dimanche de 11 h à 19 h  (d’avril à septembre)

Photos : Véronique Spahis