« — On est quel jour aujourd’hui ?
— Je ne sais plus très bien, aide-moi !
Tu ne sais plus très bien. Quel jour on est. Quand est né Papa. Si on parle de mon papa ou du tien. Parfois, tu transposes les rôles. Ma sœur aînée devient ta sœur ».
Dans La mère à côté, Thael Boost raconte la vie de sa maman, de ce qu’elle est devenue, de ce qu’elle est aujourd’hui : une femme âgée… atteint d’Alzheimer « Après le corps, meurtri par un cancer des seins, puis des os, c’est l’esprit qui montre de sérieux signes de fatigue »
S’appuyant sur des souvenirs d’enfance, elle ouvre un territoire où le passé et le présent cohabitent, et tente de restituer la vie simple et la personnalité́ de celle qui était un modèle de force active, d’excentricité́ et de joie de vivre.
Rosy a 90 ans mais ne s’en souvient pas. D’ailleurs, depuis quelque temps, elle en a 62. La mémoire en naufrage, elle ne peut plus se raconter. Alors c’est sa fille qui prend la parole. Pour la retrouver, fixer des instants de vie, évoquer la relation fusionnelle qui les lie, l’inversion progressive des rôles et ce qu’il reste d’humour et d’amour, malgré́ la réalité́ brutale de l’effacement de soi.
Depuis 2018, je suis « Tête de Mum » sur Instagram, compte que Thael a créé : « Ma mère, elle a toujours eu ce petit grain de folie, enfin depuis que je la connais en tout cas. Ma mère, elle s’intéresse toujours à moi et au monde, dans cet ordre-là. Ma mère, elle se pose des questions de 86 ans sur le monde. Ma mère, elle a plein de remarque que je publie depuis 6 ans sur Facebook (que je suis aussi bien évidemment depuis plus longtemps) « Tu parles encore de moi sur ton truc, là ». ma mère, elle est chouette et j’aimerais vous faire partager sa vision du monde et son humour »
Ce livre était attendu par tous ceux qui suivent leurs échanges de complicité et d’amour, des moments de joie et de peines, de l’importance de l’instant présent. Nul doute que chacun y trouvera aussi résonnance à sa propre histoire. De notre position d’enfant face au parent, qui s’inverse avec le temps. Sa mère me fait penser à la mienne, qui s’est éteinte doucement, devenue légère comme une plume, son esprit ailleurs avec Alzheimer aussi. Elles ont beaucoup de points communs, même génération sans doute.
« Devenue veuve, tu erres dans ta vie bien vide sans mon père. Après le corps, meurtri par un cancer des seins, puis des os, c’est l’esprit qui montre de sérieux signes de fatigue. Alors je veille. Je veille sur toi, comme tu l’as toujours fait pour moi. Non plus comme ta fille, mais comme ta mère. Le cycle de la vie, Le Roi lion, tout ça, on se dit que c’est d’un cliché, une caricature. Et puis, on est confronté à la réalité ».
La Mère à côté, c’est l’hommage lumineux et bouleversant d’une fille à sa mère, écrit dans l’urgence de lutter contre l’absence. Mais, au-delà̀ de l’expérience personnelle, l’auteure donne une valeur collective à son récit, en tentant de répondre à cette question : que signifie pour une femme de vieillir ?
« Ton regard est celui d’une enfant qui se demande si elle doit avoir peur. Tu ne sais plus très bien. Si tu es ma mère ou si je suis la tienne. Tu m’appelles ta deuxième maman. Tu ne sais plus très bien si cela a de l’importance, au fond »
La Mère à côté, c’est une histoire d’amour universelle, un récit sans pathos, un livre de mémoire pour ne pas oublier les souvenirs, les rêves, les vies des femmes, de celles qui ont été, et qui ont fait celles et ceux que nous sommes aujourd’hui. Un livre qui fait du bien. Merci Thael de ce partage !
« Je ne peux ni être à ta place ni soulager ta peine. Je ne peux qu’être là pour incarner mon soutien et surtout être témoin de la femme que tu es, que tu as été. »
La mère à côté, de Thael Boost
Editions Anne Carrière – Parution le 13 mai 2022 – 208 pages – 17 €
Véronique Spahis