« La promesse de l’aube », pur chef-d’œuvre autobiographique même si romancé, fait l’objet de multiples adaptations, au théâtre comme au cinéma. On se souvient du film porté récemment sur grand écran par le divin tandem Pierre Niney – Charlotte Gainsbourg. On reprocha pourtant bien des choses à son auteur, doublement consacré par le Prix Nobel, Romain Gary. Ce personnage flamboyant qui connut mille vies fut l’objet d’innombrables attaques, notamment de la part de ses chroniqueurs contemporains. Son humanisme transpire par tous les pores de son travail au style virtuose, lui qui avouait ne se relire que très peu, dictant le flux si aisé de ses textes à sa secrétaire. C’est peut-être bien là que réside le principal reproche dont il était la cible. Moderne et pourfendeur, son travail comprend plusieurs niveaux de lecture que cette nouvelle proposition met magistralement en lumière.
Et par-delà la performance d’acteur sur laquelle nous reviendrons, toute la modernité et l’humour d’un propos romanesque et profond éclate sur scène, donnant à voir « La promesse de l’aube » sous un nouveau jour. Le spectacle se trouve construit presque à la manière d’un one-man show, succession de tableaux mettant en exergue non pas l’intégralité du roman mais les étapes les plus marquantes et les plus symptomatiques de la vie de jeune immigré puis de militaire et enfin de diplomate et de romancier. Dans un rythme échevelé, Franck Desmedt – également à l’affiche de « Le visiteur » ( http://itartbag.com/le-visiteur/ ) donné au Théâtre Rive Gauche – prend un plaisir palpable à clamer les mots, telle une mitraillette imparable et rieuse, de ce qui fait le cœur de ce que d’aucuns qualifient à juste titre de roman absolu.
Donnant corps et voix à l’ensemble des personnages qui construisirent celui qu’il devint, Franck Desmedt dessine les contours d’un Romain Gary prisonnier et tout à la fois transcendé par l’amour démesuré d’une mère totalement aveuglée par sa passion mais aussi étonnement visionnaire quant au potentiel de sa progéniture. Le comédien, lui-même artisan de l’adaptation, fait feu de tout bois, nous prend à la gorge pour ne jamais relâcher son étreinte. On rit d’anecdotes cocasses qui souvent égratignent l’image d’un auteur qui avait une assez haute opinion de lui-même. La complexité de Gary réside en effet dans une réelle capacité d’autodérision, où l’embarrassant côtoie les évènements glorieux, ici dans un enchainement effréné de scénettes dont on sort essoufflé de bonheur et de rires. Seul regret… que le feu d’artifices ne dure pas une heure de plus. Alors, pour prolonger un peu l’orgasme, Vents d’Orage s’est rendu pour vous au Théâtre de La Huchette où le maître des lieux fait tourner avec délectation et modestie, les multiples casquettes qui tournent sur son crâne :
Le pitch : Romain Gary raconte sa jeunesse, son déracinement, sa relation à sa mère qui l’élève seule. Elle rêve de grandeur pour lui. Il n’aura de cesse d’essayer d’être à la hauteur de ce rêve.
Passant de la mère étouffante d’amour à la femme de ménage espiègle, du grand De Gaulle à une galerie de petits parisiens qui traversent la terrible guerre, Franck Desmedt retrace avec virtuosité l’itinéraire de l’un des auteurs les plus mystérieux, le seul à avoir obtenu deux fois le prix Goncourt.
« Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours ».
David Fargier
La promesse de l’aube
Auteur : Romain Gary ; Mise en scène : Stéphane Laporte et Dominique Scheer ; Avec : Franck Demedt
Jusqu’au 7 novembre 2021, du mardi au dimanche, (et très certainement prolongé)
Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris