Le Grand Jeu : 5 personnalités pour 5 visions différentes de l’œuvre d’Henri Cartier Bresson

En 1973, Dominique et John de Menil, deux de ses amis, ont demandé à Henri Cartier-Bresson de choisir 385 de ses photos afin de créer ce qu’on appelle aujourd’hui la Master Collection. Présente en six exemplaires dans le monde, elle regroupe les plus belles images du photographe.

Pour « Le Grand jeu », Matthieu Humery, commissaire général de l’exposition, a demandé à cinq commissaires invités de choisir chacun trente photos de la Master Collection sans savoir celles que les autres choisiraient. Ensuite chaque commissaire s’est vu attribuer une salle dans laquelle les photos choisies ont été exposées. Il est donc arrivé qu’il y ait des doubles ou des triples, mais d’une salle à une autre l’univers est si différent que c’est d’une toute autre façon que l’on redécouvre les œuvres d’Henri Cartier-Bresson en passant de salle en salle.

Dans la salle où sont exposées les images choisies par François Pinault, grand collectionneur d’art contemporain au monde, l’univers est très minimaliste, c’est le blanc qui ressort principalement des photos. Celles-ci sont toutes disposées dans un esprit très linéaire. Quatre groupes de photos ressortent, dans deux premiers groupes on peut voir des instants de la vie courante avec d’abord des paysages ordinaires et ensuite des personnages vaquant à leurs occupations, faisant la sieste, discutant, jouant de la musique…  Puis dans un autre groupe, des « jeux de hasard » surprennent notre regard, des moments furtifs et parfois étonnants capturés par Henri Cartier-Bresson. Enfin dans un dernier groupe des portraits de personnages plus ou moins connus sont tous affichés en ligne. Le dernier, un portrait de Paul Léautaud avec la main en visière, semble les observer.

Dans la disposition d’Annie Leibovitz, célèbre photographe américaine, c’est le noir qui ressort des photos. Toutes entourées d’un cadre noir elles font ressortir vraiment la vision photographique de la commissaire, qui a aussi beaucoup écrit, d’où les quelques textes sur sa relation amicale avec Henri Cartier-Bresson qui accompagnent les photos. Sans vraiment parler des photos elle laisse ainsi le spectateur entrer dans l’univers d’Henri Cartier-Bresson et analyser comme il veut les photos qu’il trouve en face de lui. (Salle Leibovitz)

Javier Cercas, écrivain espagnol, a souhaité afficher les photos qu’il a choisies comme si elles formaient un livre. La lecture commence par une photo un peu à l‘écart avec une citation qui peut s’interpréter comme un premier chapitre. Puis sur la même lignée on découvre une série de photos qui ont toutes un lien entre elles puis encore une photo accompagnée d’une citation un peu à l’écart liée aux photos précédentes et ainsi de suite jusqu’à la fin du « livre », jusqu’à ce qu’on tombe sur ce qui pourrait être un épilogue. En effet une photo, accompagnée d’une citation, est mise l’écart sans qu’il y ait d’autres photos qui suivent mais cette disposition n’est pas anodine puisque c’est en fait un portrait de Samuel Beckett qui nous invite à relire le « livre » de photos dans l’autre sens…

 

Wim Wenders, réalisateur allemand et président de l’académie européenne du cinéma depuis 1996, a rencontré Henri Cartier-Bresson en 1980.  Pour choisir ses photos il les a toutes mises en quiconque dans son studio et les a regardées avec attention à la loupe. On le voit dans le petit film réalisé spécialement pour l’exposition, où il montre quelques photos et s’émerveille de la contemporanéité du travail de son ami, il s’étonne même d’une photo prise en 1935 qui paraît si moderne à l’instar du portrait de Truman Capote. Il s’émerveille de sa facilité à capturer les regards si intenses dans certaines photos. La salle dédiée au réalisateur a tout de suite une atmosphère plus cinématographique ; plongés dans la pénombre on peut observer les photos éclairées une par une comme si un petit film s’offrait à nous dans chacune d’entre elles.  À l’entrée de la salle on peut voir un Leica en bois, l’appareil photo fétiche du photographe et à côté, comme pour y répondre, une photo de l’artiste lui-même prise lorsqu’il était prisonnier de guerre. Lui qui aimait tellement prendre les gens en photo, photographié à son insu dans un moment tragique.

Sylvie Aubenas voix de la bibliothèque, nous laisse découvrir les photos d’Henri Cartier-Bresson d’une manière plus singulière mais très simple avec des regroupements de photos dans lesquelles elle voyait des caractéristiques récurrentes. Dans une salle toute rose avec les photos encadrées de bois ou parfois avec des cadres plus originaux, on entre dans un univers qui rend compte de l’admiration qu’a Sylvie Aubenas pour le travail du photographe.

Elle a vu les œuvres choisies comme un jeu de 53 cartes avec pour joker la célèbre image du dormeur de profil dans le quartier Barrio Chino en Espagne.

Finalement, c’est autant une exposition sur Henri Cartier-Bresson que sur les cinq commissaires qui nous ont partagé leur vision de l’œuvre du photographe. En collaboration avec Pinault Collection-Palazzo Grassi et avec la Fondation Henri Cartier-Bresson la BnF nous permet d’observer le travail d’un artiste à travers les yeux d’autres artistes qui nous laissent voir en quelque sorte une part de leur intimité. Ne pas avoir de complexes à montrer qui nous sommes ou comment nous voyons les choses est un peu l’aboutissement de cette exposition.  

Texte et photos : Lison Desgrées du Loû

Du 19 mai au 22 août 2021

Bibliothèque nationale de France, Galerie 2, site François-Mitterrand, Quai François Mauriac, 75706 Paris – ouvert du mardi au samedi de 10h à 19 h, dimanche de 13h à 18h – fermée le lundi