Le poids du mensonge de Mitch Hooper : quand le théâtre se joue de l’impensable.

Un fait divers glaçant et invraisemblable est à l’origine de cette pièce teintée d’humour noir, Le Poids du mensonge,écrite et mise en scène par Mitch Hooper.

En janvier 1993, Jean-Claude Romand assassine froidement sa femme, ses parents et ses enfants après avoir passé près de vingt ans à mentir sur sa profession et sur toute sa vie. Son secret était en passe d’être découvert, le menteur ne supportait plus le poids de son propre mensonge, les meurtres suivis de son suicide étaient sa seule issue.

La pièce s’ouvre sur la terrasse d’une maison de campagne, Jean vient de tuer sa femme et son fils et s’apprête alors à se suicider avant d’être interrompu par un ami d’enfance venu lui confier son désespoir. Cet ami s’appelle Marc et est joué par Anatole de Bodinat. Il est le second personnage de la pièce et l’élément déclencheur de l’intrigue. Un dialogue teinté de quiproquos que le spectateur comprend se forme, structurant ainsi toute la pièce.

Nous assistons de fait à un huis-clos joué brillamment sur cette terrasse par quatre personnages qui portent à merveille l’intrigue de la pièce. La femme de Roman jouée par Anne Coutureau est dépassée, peut être dépressive et ne feint de voir que ce qu’elle souhaite. Les traits de visage que l’actrice parvient à modeler à son personnage, arborent parfaitement l’inquiétude et la démence de ce rôle qui aiguille peu à peu le spectateur vers le dénouement.

La femme de Marc, Laurence est probablement la figure de proue dans laquelle l’essentiel de l’humour de cette pièce est contenu. Son attitude précieuse est élevée par cette voix qui accompagne très justement l’allure envieuse et crédule du personnage. Son personnage est superbement interprété par Sophie Vonlanthen qui rythme la pièce, faisant de cette histoire tragique une plaisanterie des plus risible.

Enfin, Julien Muller interprète Jean Claude Roman avec une froide inquiétude, on sent la folie s’emparer du mythomane qui se révèle peu à peu. Le personnage dissimule son malaise et tente de brouiller les pistes en vain, tant le tourment se ressent.

Les rôles sont admirablement écrits et d’une étonnante complexité. A la fin de la pièce, on croit les connaître, un attachement s’est presque formé et la pitié pour les victimes se mêle à la nature burlesque de l’histoire.

Comme le souhaitait le metteur en scène, le spectateur se questionne sur la normalité d’un couple et d’une vie plus globalement. On retrouve dans chaque personnage un peu de soi, c’est probablement ce qui forme notre attache à ces derniers.

Mitch Hooper le dit lui-même « cette pièce est une sorte de thriller psychologique à suspense avec un humour noir et grinçant ». Il refuse de la qualifier de tragédie, pourtant Le Poids du Mensonge a toutes les caractéristiques de la tragédie, toutefois modernisée et étonnamment empreinte d’humour. Il s’agit alors peut-être d’une tragédie moderne qui se mêle avec une aisance délibérée à la comédie. Il semble complexe de qualifier autrement cette farce dont on ne peut sortir indemne. Mais il est certain qu’en tant que spectateur vous rirez devant le Poids du Mensonge, vous serez happés par la mise en scène haletante tout en étant emportés par l’écriture intelligente des dialogues.

Lou Brunet

Du 24 août au 15 octobre 2023
du jeudi au samedi 21h, dimanche à 17h.

Théâtre de la Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, 75018 Paris.

Texte et mise en scène : Mitch Hooper. Avec Anne Coutureau, Anatole de Bodinat, Julien Muller et Sophie Vonlanthen.  

Scénographie : Delphine Brouard – Lumières : Patrice Le Cadre – Conception sonore : Jean-Noël Yven – Costumes : Philippe Varache

Durée : 1h30

Co-production : Compagnie Body & Soul / Corps & Âme et C’est Ce Qu’on Va Voir -Coréalisation : Théâtre de la Manufacture des Abbesses