A l’occasion du bicentenaire de Théodore Géricault (1791-1824), le Musée de la Vie Romantique de Parisretrace le travail de ce maître du romantisme à travers l’une de ses passions, un thème récurrent de son œuvre : le cheval. En selle !
Normand d’origine, Géricault se forme dans l’atelier de Pierre-Narcisse Guérin, d’obédience classique. Très vite, il se détache de la vision de son maître pour aborder la peinture sous un nouveau jour : celui du romantisme. Sa proposition est en opposition radicale par rapport à ses enseignements, tant dans le style que la forme. Une certaine idée de rupture se retrouve dans l’œuvre du français.
Pour autant, il serait faux de dire que Géricault ne s’est pas inspiré de ses contemporains. Si ce dernier peut allègrement être décrit comme peintre romantique, ou bien encore comme peintre animalier, il est en effet avant tout un peintre d’Histoire.
Connu par le grand public pour son fameux Radeau de la méduse, il s’inscrit néanmoins dans un profond rejet de l’épisode napoléonien. Géricault n’est pas un adorateur aveuglé des scènes de batailles ou des représentations glorifiées de héros reconnus, de princes aux victoires somptueuses.
Le cheval politique
Au contraire, si le peintre présente bien des tableaux prêtant à la fresque historico-nationale, à l’instar de son Portrait équestre de M.D (Dieudonné)dont plusieurs esquisses sont montrées aux visiteurs, il se détache d’une représentation classique de la guerre. Ainsi, n’apparaissent pas de grands et preux tribuns ; ni même de scènes de bravoure éclatantes. Un soldat anonyme, inconnu, est en revanche peint.
Ce portrait, présenté au Salon de 1814, est décrit comme une allégorie de la guerre napoléonienne. Le standard de l’époque veut en effet toujours mettre en avant, sublimer l’aspect guerrier. Néanmoins, avec du recul, l’historien Michelet y voit plutôt la figuration d’un soldat qui pense à la mort, attristé par sa condition de guerrier défait.
Une première figure, celle du cheval politique, est ici soulignée par l’exposition. Trois croquis aux touches apparentes – fidèles à la tradition romantique donc – représentent une bête certes majestueuse, mais qui sert à réaliser une critique acerbe de l’esprit napoléonien belliqueux.
Cette mise en lumière d’un soldat lambda, ni reconnu pour sa bravoure exceptionnelle, ni critiqué pour son esprit déserteur, n’est pas sans rappeler la critique plus contemporaine de l’absurdité de la guerre et de ses tragédies.
On dénote une certaine mélancolie par ailleurs sur le visage de ce soldat. Le peintre veut donner la parole aux vaincus de l’Histoire tel un Arthur Rimbaud décrivant plus tard ce « Soldat jeune, bouche ouverte, tête nue » dans Le dormeur du val.
Un « corps à corps »
Figurer un inconnu plutôt qu’un illustre est d’une modernité époustouflante pour l’époque. Aux antipodes d’un David glorifiant et encensant le rôle d’un Homme, le faste des conquêtes s’efface ici au profit d’une représentation désincarnée. Cette dépersonnalisation, paradoxalement, décrit bien plus fortement la prégnance de la guerre dans la société.
La figure du cheval est par ailleurs centrale, apparaissant au travers d’un « corps à corps » selon le commissaire Bruno Chenique, spécialiste du peintre.
Cette promiscuité du cheval avec l’Homme se retrouve également dans les différentes lithographies prêtées par la BNF au Musée de la vie Romantique. Le cheval y est dépeint dans diverses situations ; à chaque fois il s’impose comme l’objet d’étude principal. A la fois « prétexte » il est aussi le contexte.
Toujours dans le registre du champ de bataille, Géricault nous montre l’envers du décors ; ce qu’un peintre d’Histoire ne devrait pas faire figurer dans son récit. Dans La charrette de blessés, le cheval, fidèle ami du guerrier, est celui qui porte sur lui les morts des combats. Cette représentation chevaline sert, à l’instar du Cuirassier blessé dont une étude est proposée, à critiquer subtilement la guerre et ses méfaits.
Anti-napoléonien, Géricault s’oppose vivement à la Campagne de Russie (1812) par ce procédé, rappelant que la guerre est mortelle. Dans cet autre « corps à corps », le cheval est présenté comme le passeur, celui qui accompagne l’Homme, de ses percées épiques, à son dernier voyage, funèbre.
Le cheval poétique et épique
Reconnu pour ses créations pittoresques, Géricault est également un grand copiste de ses pairs. Influencé par Delacroix, il peint ainsi également à la façon orientaliste. Notons, en ce sens, ce Cheval arabequi mêle tout à la fois cette influence orientale, un travail sur les couleurs et cette éternelle mise en perspective de l’Homme par rapport au cheval.
Ce tableau présente l’animal à la même hauteur que l’homme, tous deux pieds nus. Comme dans l’ensemble de l’œuvre, une certaine « tension » selon Gaëlle Rio, directrice du musée et commissaire, se ressent. Soulignons le regard profond, cet échange insistant et persistant entre le palefrenier arabe et l’animal. Il n’y a pas de rapport de force ; l’Homme est l’égal du cheval, tous deux drapés de tuniques hautes en couleurs et soyeuses.
Passée l’étape des lithographies et des grandes scènes de guerre extrêmement critiques avec l’époque, la course des chevaux de Géricault nous emmène alors dans une véritable recherche d’une beauté presque sacrée, divine.
La figure du cheval n’est en effet pas que politique ; c’est davantage en tant que muse, ou modèle pour arborer de sublime couleur et travailler une certaine luminosité, que l’animal apparaît dans un second temps. Notons ainsi la toile prêtée par les Beaux-Arts de Dijon, Chevaux en pâturage.
Une double lecture peut être faite de cette dernière ; l’on perçoit en premier lieu la représentation d’une action banale, le fait de manger ; au second coup d’œil, l’on se rend compte qu’un véritable jeu de clair-obscur se présente à nous. L’un des chevaux est noir, l’autre blanc : le tout éclairé par une lumière céleste. « Géricault était fasciné par les robes de ces animaux » justifie Gaëlle Rio. Toute une partie de son œuvre s’attache donc à mettre en valeur l’éclat du pelage de ces bêtes. Les jeux de contrastes sont saisissants.
Les apparitions des chevaux sont alors quasi mystiques ; ils ne sont plus seulement des accessoires, mais des sortes de déesses des temps modernes. En se plongeant dans Cheval blanc au galop, effet de lune, l’on perçoit la volonté profonde du peintre. Géricault atteste ici de sa volonté de dresser un parallèle quasi féérique entre le cheval au pelage blanc et l’astre de la nuit aux rayons enchanteurs.
Le cheval comme itinéraire de voyage
Au-delà des scènes de vie courante et autre forme de portraiture de l’objet d’étude, l’exposition se concentre également sur le parcours de vie de Géricault ; entre Rome et l’Angleterre.
Malgré ses échecs au fameux Prix de Rome, successivement en 1812 et 1816, il se rend en Italie. Sur place, il couvre à sa manière la fameuse Course de chevaux libres.
« Violente », Gaëlle Rio raconte que les chevaux sont excités tout au long du parcours. On devine Géricault en pleine effervescence devant ce spectacle ; ce dernier a eu ainsi pour projet de réaliser une fresque monumentale reprenant cette scène.
Seules des études préliminaires nous sont parvenues, notamment celle prêtée pour l’exposition par les Beaux-arts de Lille, La course de chevaux libres.
L’exposition se conclut enfin par une plongée dans le voyage outre-Atlantique de l’artiste. Après le « prétexte » politique, artistique ou poétique, le cheval est désormais au cœur du théâtre de la révolution industrielle, incorporé en tant que rouage essentiel de cette dernière. On le voit, notamment, servant à tirer une calèche dans Le chariot à Charbon.
Au fur et à mesure que l’exposition défile devant nous, l’on perçoit toutes les nuances et les différents points de vue qui peuvent être abordés avec ce thème.
D’un objet d’étude trop souvent réduit à sa fonction de monture pour les combats dans les grandes fresques historiques, Géricault pousse notre imaginaire à accepter une autre vision de l’animal. Une novation pour l’époque. Si bien que certains l’affublent du seul titre de « peintre animaliste ».
Néanmoins, cette étiquette ne colle pas à Géricault, confie Bruno Chenique. Le normand est bien plus divers et, au travers de son œuvre, ne raconte pas tant le cheval, mais plutôt des scènes de vie et une certaine vision de la société ; issu du romantisme politique, il n’est pas tributaire du courant parallèle de l’art pour l’art. Le cheval pour le cheval n’est donc pas la grille de lecture ad hoc.
Il y a en réalité tout autant de chevaux que de situations ; tout autant de raisons donc de le représenter. Géricault ne s’est donc pas évertué à miser sur le bon cheval, il les a tous représentés.
Gabriel Moser
Du 15 mai au 15 septembre 2024
Musée de la Vie romantique, 16 rue Chaptal, 75009 Paris
Du mardi au dimanche de 10h à 18h