Notre professeur de philosophie et de psychologie de service a de la « cuite dans les idées » (comme dirait notre confrère du « Canard Enchaîné ») et cherche à « comprendre l’aspect utilitaire de l’envie de s’enivrer ». Vaste programme !
L’universitaire canadien s’étonne : « Pourquoi empoisonnons volontairement notre esprit ? » et s’interroge avec un esprit de sérieux de gosier en pente qui évite H2O comme la peste : « Pourrions-nous porter un toast avec de l’eau plate ? »
Sa thèse provocatrice prend à contre-pied les tristes croisés de l’abstinence et nous invite à ne pas boire seul afin de fluidifier les relations sociales lors de nos modernes raves parties. A cause d’un cerveau « très gourmand en énergie », nous aurions besoin selon lui de « ralentir l’activité du système nerveux central pour éveiller en nous toutes les facultés précieuses de l’enfance et injecter des doses contrôlées de chaos dans nos vies ».
Tout en accordant volontiers que le culte à Dionysos a aussi sa face obscure et dévastatrice : « L’alcool est la troisième cause de décès dans le monde, après le tabagisme et le manque d’exercice ».
Et en rappelant que l’ivresse collective est un rite social pratiqué dans de nombreuses civilisations depuis les bacchanales grecques, il fournit un aperçu éclairant des différentes habitudes de consommation des sociétés modernes et met en évidence celles qui sont parvenues à faire de l’alcool notre allié. Cette ode à l’hédonisme montre que s’enivrer de temps en temps serait bon pour notre épanouissement, notre vie intime et professionnelle, et notre ouverture aux autres.
« On va au café pour être dans un cocon sonore qui montre qu’on fait partie de la société », estime la psychosociologue Josette Halégoi. Selon elle, cette disparition provisoire de ces temples de la convivialité les derniers mois de Covid a « sans doute renforcé le sentiment de solitude et d’exclusion des citoyens isolés, voire paumés, pour qui l’estaminet est le seul endroit pour parler ».
Christian Duteil
L’Ivresse, d’Edward Slingerland
FYP éditions – sorti en mai 2023 – 312 pages – 24 euros