Luxe – Calme – Volupté et Synesthésie

« Sangam » par Subodh Gupta au Bon Marché 

Abondance et féerie: Tels pourraient être les premiers mots venant à l’esprit du spectateur invité à cette inouïe soirée de vernissage des créations originales de l’Artiste Subodh Gupta qui s’est tenue pour Le Bon Marché.                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

Soirée mémorable dont l’Artiste invité en fut le Chef d’Orchestre. Dans un lieu aux mille feux resplendissant de blancs miroitants et aux mille présences affluentes de chaque étage, il sut tout mener en Maître du Temps jusque dans ses moindres détails. 

Tout n’y fut que luxe, calme et volupté au sein d’une scénographie de rêve : Joie des yeux par une chorégraphie enjouée et maîtrisée ; une production artistique monumentale de deux Installations imposant respect et attention visuelle ; bonheur de l’ouïe grâce à une musique classique et contemporaine mêlées ; bien-être d’une déambulation scandée à chaque niveau de ce resplendissant lieu architectural ; plaisir de la dégustation due à une carte d’apéritifs et d’amuse-bouche délicieux comme le risotto citronné au crabe, la ricotta aux coquilles Saint Jacques, les bouchées aux truffes ainsi que des boissons exotiques : SangamPlume ou Coton.

La présentation et les deux principales œuvres de l’artiste Subodh Gupta nous surprennent par leurs impressionnantes dimensions, leur lumière d’acier, leur délicatesse, leur assemblage digne du travail d’un expert en orfèvrerie.
Situées dans les deux grandes pièces centrales en rez-de-chaussée, séparées par des escalators en structure jacquard de céramiques blanches, les réalisations artistiques s’élèvent jusqu’à la hauteur du deuxième étage de cet espace emblématique et historique. Offrant ainsi différents points de vue aux visiteurs lorsqu’ils se promènent, situés successivement en contre-plongée, frontalement, latéralement ou en plongée. Leurs images mouvantes en reflets sont démultipliées par les bris de miroirs et évoquent celles vues dans le film d’Orson Wells La Dame de Shanghai

 

Ces sculptures imposantes semblables à de gigantesques tiges florales s’achèvent chacune par un énorme bourgeon évoquant globalement la forme du pissenlit ; ouvert en son sommet il fait songer paradoxalement à la présence de l’œil d’un Cyclope. Cette production manifeste le culte de l’Objet, son appropriation si chère aux artistes du XXème siècle depuis Marcel Duchamp jusqu’à ceux d’aujourd’hui. Culte traversant selon les continents et les époques les mouvements artistiques comme Dada, le Pop Art, les Nouveaux Réalistes, l’Eat Art et faisant songer à leurs représentants comme Marcel Duchamp, Andy Warhol, Tom Wesselmann, Arman, Tinguely, César, Yves Klein,etc.

On ne peut s’empêcher d’évoquer Fernand Léger pour sa délectation identique du reflet de la lumière sur le métal, ce plaisir de l’œil qu’il ressentit et peint sur ses toiles dès son retour de la première guerre mondiale 1914-1918, alors fasciné pour toujours par la lumière sur les obus d’acier jonchant le sol.                                                                                                  De même, encore plus proche de nous citons Pol Bury .

                                                                                                                                            L’idée d’Installation est présente aussi par cette œuvre intitulée The Proust Effect (l’Effet Proust) sorte de hutte ouverte en suspension composée par de multiples vieux ustensiles de cuisine en aluminium déjà utilisés. Ainsi pense-t-on à Mario Merz et au mouvement Arte Povera lorsque nous pénétrons à l’intérieur de cette structure métallisée s’offrant à nous comme une bouche qui nous avale…  Les Demeures d’EtienneMartin ou La Tour aux Figures de Jean Dubuffet semblent revisitées. Une vidéo y est présentée.

 
 
Depuis l’extérieur, dès notre arrivée rue de Sèvres, d’autres sculptures sont visibles en vitrine. Leur assemblage évoque une connaissance des objets manifestement spécifique à cet auteur :                                                                    – Casseroles reliées entre elles par le biais de cordes, contenues dans ce qui semble être le premier caddy en chariot acier de la fin du 19ème siècle aux roues nous remémorant la Roue de bicyclette de Marcel Duchamp datée de 1913 – Un hologramme coloré désignant une casserole fumante apparait et disparait derrière la vitrine, comme un clin d’œil à Salvador Dali.   – Machines à coudre Singer d’où s’étendent soit une nappe de porcelaines manufacturées et faïencées peintes délicatement puis brisées, soit une vague formée d’un flot de boutons-boucliers métalliques cabossés à la manière médiévale et au motif floral parfois chromatique nous rappelant certains vêtements ou chasubles de Paco Rabanne.                                              La nappe de porcelaines et la vague de boutons métalliques sont collées sur un grillage fin dont l’horizontalité, l’oblicité et l’extension au sol rappellent Daniel Spoerri et César pour ses Expansions et le contenu travaillé de ses Compressions et Accumulations.                

Ainsi, comme chez Yves Klein qui associait un orchestre de chambre à ses modèles nommés « Pinceaux vivants » durant ses Anthropométries, il y eut ici grâce aux moyens techniques sonores et visuels actuels dirigés également par l’artiste un ballet d’une vingtaine de danseurs autour de ses gigantesques réalisations.

Alors, advint pour toutes et tous dans un calme et une attention absolus, un moment vécu d’Art en actes, nous remémorant la période des Performances, des Happenings, celle de Fluxus… et par une chorégraphie si vivante et contemporaine qu’elle réveilla en nous les noms illustres de Carolyn Carlson, Pina Bausch et pour d’autres tableaux chorégraphiés celui de Maurice Béjart dans sa création du Boléro de Ravel vers 1982 quand apparut le jeu des chaises et des danseurs.


L’artiste a su mettre magnifiquement le spectateur dans un état de synesthésie où toute à la fois la vue, le goût, l’écoute visuelle et auditive, la perception mentale et spatiale restent associés dans un monde extérieur et intime devenu pluriel. Ainsi partagé, cette soirée nous a réunis dans une convivialité aux croisements divers.

Sangam ou « Confluence »en Hindi est un concept, une idéeheureuse et bienfaitrice mêlant à notre esprit – in fine – les notes harmonieuses et la félicité du début du film The Partyde Blake Edwards avec Peter Sellers

Finalement, nous avons vécu les traces d’une anthropométrie présentielle collective mijotée au goût de l’artiste où demeurent encore en nous, plusieurs jours après, les vestiges ressentis de cette exceptionnelle invitation à vivre et à partager.

Philip Lévy

© Photographies Mr Philip Lévy

Du 9 janvier au 19 février 2023

Le Bon Marché, 24 rue de Sèvres, 75007 Paris

Du lundi au samedi de 10 h à 19 h 45, dimanche de 11 h à 19 h 45

https://www.lebonmarche.com/fr/lbm_gazette-portrait-subodh-gupta-sangam.html