Martial Raysse présente ses œuvres les plus récentes au Musée Paul Valéry de Sète. Cette exposition constitue un événement dans la mesure où l’artiste n’avait plus souhaité exposer dans un musée depuis la rétrospective du centre Pompidou en 2014, et celle du Palazzo Grassi en 2015. L’exposition, qui s’est ouverte le 17 juin dernier dans ce beau musée niché sur la colline de Sète, à côté de son célèbre cimetière marin, se tient jusqu’au 5 novembre.
Né en 1936 à Golfe-Juan, Martial Raysse se tourne très jeune vers l’écriture et la peinture. C’est la seconde qui obtient la faveur du jeune homme, alors âgé de dix-neuf ans : « Je voulais être écrivain. Mais je me suis aperçu qu’il y avait un phénomène tragique, celui de la communication des langages… Cela m’a conduit à chercher un au-delà des mots… L’au-delà des mots c’est la peinture, le langage visuel. Voilà comment j’ai commencé à peindre. »
Le travail de Martial Raysse traverse toute la seconde moitié du XXème siècle. Son œuvre est nourrie depuis les années 60 par une multitude de techniques de production d’images qui traduit une volonté indéniable d’expérimentation. La période Pop des années 60, c’est celle des portraits très colorés de jeunes femmes modernes, durant laquelle l’artiste connaît un immense succès. Raysse bouscule l’histoire de l’art en 1964 avec sa relecture d’Ingres dans Made in Japan, qui représente la France à la 33ème Biennale de Venise et qui obtient le prix David Bright. Viennent ensuite les années “ chamaniques” dépouillées qui précèdent une peinture tournée ensuite vers les grands maîtres.
Ce qui constitue un événement au musée Paul Valéry, c’est la présence de quatre toiles inédites, de très grand format, présentées pour la première fois au public. Celles-ci fonctionnent en deux diptyques.
Les toiles Lever du jour (2020) et La tombée de la nuit (2021) s’organisent toutes deux autour d’une figure féminine centrale et lumineuse. Dans La tombée de la nuit, dont l’Étude est par ailleurs exposée, le corps féminin s’oppose à la présence sombre et menaçante de corps cadavériques formant une danse macabre. Dans Lever du jour, le nu féminin est dévoilé par un être démoniaque, un mannequin qui semble être une citation ironique de la peinture métaphysique de de Chirico, mais la fixité canonique du peintre italien se transforme ici en « une inquiétante étrangeté » en mouvement.
Les toiles La Peur et La Paix, peintes en 2023, constituent le second diptyque. Le ciel enflammé de La Peur rappelle les toiles de Bosch et participe au registre tragique qui émane de la scène. Les regards mortifiés se tournent vers une porte à claire-voie, sorte de hors-champs qui préfigure un lieu que le spectateur ne connaîtra jamais. La peur se fait l’écho d’un traumatisme d’enfance vécu par Martial Raysse : celui d’un père résistant que la Gestapo a cherché à arrêter. Dans La Paix, au contraire, ce ne sont qu’effusions de couleurs criantes et peu naturelles, où des personnages fantasques participent à une fête carnavalesque.
Cette exposition nous montre un Raysse loin de ses exploits post-modernistes des années 60 mais éloigné aussi de notre monde actuel : car le paradoxe pour lui, c’est de rester contemporain et de croire encore en son art dans un temps où il ne voit que destruction et violence. Raysse nous dit : « Le monde s’écroule ». Si sa palette est presque la même que celle des années 60, le jeu de la méta-peinture cède aujourd’hui la place à un expressionnisme sans espoir qui nous rappelle parfois un Otto Dix passé aux couleurs fluos.
Perrine Decker
Du 17 juin au 5 novembre 2023
Musée Paul Valéry, 148, rue François Desnoyer, 34200 Sète
Du mardi au dimanche de 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 22h