La galerie Semiose présente l’artiste Moffat Takadiwa dans le cadre de son exposition « Tales of the Big River », première exposition personnelle en Europe.
Né en 1983 au Zimbabwe, 3 ans après son indépendance, Moffat Takadiwa cherche à dénoncer l’impact des effets post-coloniaux sur son pays.
Il aborde les questions de colonisation, d’écologie, de culture et d’inégalités en réutilisant des déchets du quotidien comme des brosses à dents, des touches de clavier, des tubes de dentifrices, etc.
Après avoir collecté ces déchets dans les décharges d’Harare (Zimbabwe), un groupe d’artisans aide l’artiste à organiser les éléments, les trier par forme, taille et couleur puis tisser ces rebus pour en faire de grandes tapisseries.
Ces sculptures sont le reflet de la société et du peuple africain pauvre, l’artiste revalorise ici l’élément déclassé et il rend hommage aux travailleurs vivant dans de conditions déplorables et ne bénéficiant que peu du fruit de leur travail.
Alors qu’il dénonce le rejet des déchets européens dans les pays pauvres d’Afrique, ses œuvres, via une force visuelle, traduisent ce besoin d’émancipation et de s’affranchir de cette autorité. À travers ce travail, Moffat Takadiwa souhaite donner de la visibilité à son pays natal. Il invite à repenser à l’impact de notre mode de vie centré sur la consommation en donnant une seconde vie aux objets qu’il appelle « gâchés ». Ainsi, il leur donne un aspect totémique et opère un mélange entre révolte et contemplation.
Située à Gennevilliers, l’exposition est présentée dans la galerie Édouard Manet. Autrefois une mairie, c’est aujourd’hui la réunion entre une école, une résidence et un centre d’art. La galerie cherche à mettre en avant et apporter un nouveau regard sur l’histoire de l’art contemporain et moderne. Marquée par la présence de nombreux artistes impressionnistes de l’époque comme Monet, Renoir, Mori et Manet qui venaient souvent y peindre, cette ville porte aussi un bagage historique autour de l’industrie qui permet de mettre en dialogue l’exposition avec l’histoire industrielle de Gennevilliers.
Si Moffat Takadiwa donne une dignité aux objets, il parvient également, à travers le titre, à évoquer sa phobie de l’eau qu’il partage avec plusieurs artistes. Dans la chanson Oceans de Jay-Z, Frank Ocean en featuring reprend les paroles de Jean Michel Basquiat : « parce que cette eau noie ma famille, cette eau m’a mélangé le sang. Cette eau raconte mon histoire, cette eau sait tout ». Grand admirateur de Basquiat et Jay-Z, l’artiste s’est retrouvé en ces mots et a voulu mettre en avant cette peur qui les réunit et qui est ancrée en eux. Tandis que la Galerie Édouard Manet se trouve à proximité de la Seine, Moffat Takadiwa envisage l’eau dans son rapport au monde industriel.
Au Zimbabwe, on trouve de nombreuses ressources minérales que les puissances viennent exploiter. Cette exposition porte sur les inégalités dans les exportations économiques, l’artiste expose l’histoire de la terre et ce qui s’y déroule avec l’arrivée des déchets étrangers rejetés sur les territoires d’Afrique.
Dans « Zimbabwe Bird », l’artiste met en avant un oiseau, emblème du Zimbabwe qui est représenté sur les billets, le drapeau et autour duquel on retrouve beaucoup d’histoires et de comptes.
Dans son œuvre, la culture et l’identité sont des notions centrales alors que la culture historique zimbabwéenne se retrouve écrasée par l’arrivée du christianisme.
De plus, tandis que la langue officielle parlée au Zimbabwe est le shona, les habitants du pays ne parlent principalement que l’anglais à la suite de la colonisation. Pendant que la culture de la langue s’efface peu à peu, l’artiste fait le tissage de différentes langues Africaines et il en construit son propre langage grâce aux touches de claviers qu’il utilise pour produire la plupart de ses tapisseries.
Intéressé par tous les arts, Moffat Takadiwa cherche à produire avec ses mains, il reste dans le travail de la matière et performe. Il préfère une performance interactive afin de faire vivre son art et de le transmettre.
Cette année, il se présente à la 60e Biennale de Venise. Comme performance, il utilisera une tonne de boutons récupérés d’une usine de prêt-à-porter qui a fait faillite qui seront exposés sur le sol en forme d’oiseau. Dans son audience, chaque spectateur pourra prendre un bouton, le mettre dans une enveloppe et partir avec. Ainsi ils seront les pilleurs de son travail. Par le biais de cette performance, Moffat Takadiwa symbolise la disparition de l’oiseau du Zimbabwe, de sa culture et de son identité.
Moffat Takadiwa, grâce à son art, nous prévient à travers un manifeste silencieux d’une révolution à venir face au capitalisme des pays occidentaux.
Eugénie Van Rijn
Du 3 avril au 1er juin 2024
École municipale des beaux-arts / galerie Édouard Manet,3 place Jean Grandel, 92230 Gennevilliers
Ouvert du lundi au samedi de 14 h à 18 h 30 – Tout public et entrée libre.