Mort à crédit : quand l’acteur révèle l’auteur

Lorsque la dramaturgie s’empare des mots d’un grand auteur français, qui plus est lorsque le comédien empoigne son rôle avec une justesse folle, cela donne Mort à Crédit joué jusqu’au 27 décembre 2023 au Théâtre de la Contrescarpe.

Paru en 1936, Mort à Crédit est le second roman de Céline de son vrai nom Louis Ferdinand Destouches. Il retrace au cours de quelques 620 pages les épisodes de son enfance, à la manière d’une autobiographie volontairement dramatisée et dont la chronologie est en grande partie bouleversée.

Louis Ferdinand Céline à Meudon, en 1955.

Le metteur en scène Géraud Bénech a fait une sélection précise, une sorte de patchwork ingénieux des premiers chapitres du livre qui s’assemblent finalement avec une cohérence surprenante.

Sur scène, un bureau en bois, une chaise ancienne, une tasse en porcelaine et quelques jeux de lumière tamisée suffisent à révéler le brio du phrasé de Céline, habilement interprété par Stanislas de la Tousche. Le comédien trône face au public, armé de sa voix rauque, il nous emporte dans ce récit trépidant autant que touchant, durant lequel on se surprend à rire de la violence et de situations abjectes. Le comédien est dans la justesse de ses répliques durant près d’1 heure 15, lorsque la lumière s’éteint le public s’incline face à une telle prestation. Sa ressemblance et son travail pour s’imprégner pleinement des mots de l’auteur sont bouleversants, si bien que l’on se trouve désarmés face à Céline -presque- en personne.

Dans Mort à Crédit, Céline exprime l’ampleur de sa solitude avec une sensibilité toute particulière. Ses mots sont universels, ils éveillent chez le spectateur le souvenir proustien d’une enfance lointaine, que l’on retrouve dans la pièce. Le rire fortuit des spectateurs témoigne de cet écho.

Il nous peint les rues de Paris, on s’y perd avec lui. L’auteur affronte le lien aux parents, agite la mémoire d’une vie cocasse mais aussi tragique, confondu entre les gifles de son père et les dentelles de sa mère.

Par de simples mots mais dans un rythme effréné et grâce au jeu de Stanislas de la Tousche, le regard profond de Céline balaie la salle et nous perce de vérités. Se déploie alors une fable imagière toute en sensibilité. On est à ses côtés sur ce bateau où se croisent dans un humour grinçant « la bataille des écumes ». On le voit enfant dans les jupons de sa mère, tentant d’éviter une pluie de coup.

Puis on se balade dans le vieux Paris immuable, à ses côtés, admirant le monstre littéraire qu’il était et dont l’humour grinçant et la sensibilité qu’il parvient à transmettre par des mots abrupts, ont traversé les décennies.

Lou Brunet

Photos : Fabienne Rappeneau

Jusqu’au 27 décembre 2023 les mercredis à 21h – les dimanches : jusqu’au 5 novembre à 17h ; du 12 novembre au 24 décembre à 18h30

Théâtre de la Contrescarpe, 5 rue Blainville, 75005 Paris

Mort à Crédit de  Louis-Ferdinand Céline ; mise en scène de Géraud Bénech ; artiste :  avec Stanislas de la Tousche