Mue, la dernière exposition du projet Morpho à Saint Ouen

Quand un lieu idéal ne meurt jamais… n’en déplaise les tractopelles

L’art, levier de performance

Parmi nos conduites du changement, les acteurs de la nouvelle économie prennent une part importante dans l’existence et dans la mutation de l’art et de ses modèles de prédiction protéiformes. Quai 36 fondée par Jonas Ramuz fédère artistes et collectivités, avec une certitude : associer l’art aux enjeux de l’urbanisme. La maison de production d’art a le vent en proue, rejoignant la Fondation Fiminco à Romainville. Elle y occupe un espace propre au sein du quartier culturel en plein développement. Comme quoi, plus besoin d’aller à Saint Germain des Près ! Novaxia Investissement, pionnier de l’urbanisme transitoire, met à disposition les bâtiments vacants acquis via ses fonds dans l’attente de leurs recyclages. L’équation Quai 36/ Novaxia a fait jaillir en toute logique Morpho de la cuisse de Ramuz !

Morpho 1

Morpho s’était fait remarquer en octobre dernier avec une exposition sous le commissariat d’Edwart Vignot, rassemblant les travaux de 12 artistes parmi lesquels on retrouvait Josué Comoe, Nicolas Dhervillers, Quentin DMR, L’Outsider et Edwart Vignot. Les pièces maîtresses de cette exposition permanente furent les installations de ce dernier, mettant en scène un tableau de Géricault et un autre de Delacroix. On s’interroge toujours sur la pertinence des curations d’artistes se mettant en scène eux-mêmes au milieu de leurs collègues. Œil de la mouche ? Schizophrénie ? Vaste débat…

Le véritable évènement avait été de rassembler pendant 5 mois en résidence d’artistes, Céline Fantino, Beya Gille Gacha, Hoàng Nguyên Lê, Cléophée Moser du collectif Eaux Fortes, Mathieu Merlet Briand, Josué Comoe, Samuel Fasse mais aussi Alexandre Lelarge et Ennio Neagle de Noir Nacré, Justine Ponthieux, Philippe Ramuz, Tuco et Valerio Vincenzo, tout en proposant des expositions temporaires.

Mue pour Morpho dernière

Le projet reste idoine : investir un lieu en mutation, en l’occurrence l’ancien musée Pierre Cardin.  Morpho s’incarne alors en Mue qui interroge l’état transitoire, l’hybridation, le renouvellement et l’éphémère. Une vingtaine d’artistes investissent les espaces et invitent le visiteur à rencontrer des pratiques artistiques riches et variées. On parle alors maturation, métamorphose, renaissance. Mue souhaite traduire la métaphore parfaite de l’œuvre d’art, dont la présence témoigne d’une gestation (le fond), d’une cristallisation (la forme) et d’une libération (l’exposition). Ainsi l’observateur n’est pas seulement le témoin du vestige d’une transformation passée, il prend part au contenu tout en imaginant ce qui s’en est échappé : l’instant fait forme.

À l’image de la vie des morphos qui ne durent qu’un court moment, cette exposition invite le spectateur à s’interroger sur l’état transitoire, l’hybridation, le renouvellement et l’éphémère, montrant le travail des artistes résidents : Josué Comoe, Crapo, Céline Fantino, Samuel Fasse, Beya Gille Gacha, Mathieu Merlet Briand, Cléophée Moser, Hoàng Nguyên Lê, Philippe Ramuz, Valerio Vincenzo et des artistes invités : Quentin DMR, e/lAboRaTory, John Fou, Hobz, Fred Kleinberg, L’Outsider, Ojan, Lisa Renberg, Maurice Renoma, Sérapis, Jeanne Varaldi et Vastrini. A table, tous en scène and party avec Iggy pop, Wahrhol, Loo Reed, Gainsbourg, Mike Jagger !

Extrait de Morpho, John Fou, la Mue parfaite

John est fou et ses chevaux aussi. Esotérisme, non pas du tout, folie existentielle, peut-être. On avait déjà remarque le travail de John dans So Close 2 curaté par Guido Romero Pierini, mais aussi par Lou Ross. Son point d’appui est le spectacle vivant et plus précisément les arts circassiens. John commence sa vie d’artiste comme jongleur avant de découvrir la danse et le théâtre. La peinture en sera le trait d’union. Le monde du cirque reste cependant très présent. Il y retrouve une frontalité et un rapport à la “performance”. Il s’amuse du côté kitsch et clinquant. Imprégné par l’œuvre de Combasil se dit que pour lui aussi, tout peut arriver, désacralisant la peinture et se sentant légitime sans être écrasé par le poids de l’histoire. Fasciné par les jus et couleurs éthérées de Jill Mulleady, il crée son personnage de Pégase-libellule qui butine tel un martin pécheur dans le cœur de la nature, des hommes et des femmes. John est un peu comme Jean Charles de Castelbajac. Ce n’est pas un artiste de rue, mais tel JCC, notre United coloured stylist-artist, il aime laisser son empreinte dans la rue. JCC avait gravé son ange colombin iconique sur un générateur électrique de Montrouge sortant d’un diner chez une grande curatrice, John glisse ses dessins sur les vitrines au cours de ses déambulations nocturnes et les laisse se transformer, devenant l’archétype du morphomane.

Kleinberg en Germination, morphonomane intense et tranquille

Codex Urbanus permute les mythes au Musée Gustave Courbet et plus récemment au Musée Clémenceau, Daniel Horowitz transmute les papiers et les grands mammifères de la jungle Livingstonienne au musée de la Chasse et de la Nature. Fred Kleinberg invite le visiteur et le collectionneur à partager sa mythologie personnelle sous l’appellation Germination issue de sa propre réflexion de l’être au monde, au sens d’une transformation permanente.

Jeanette Zwingenberger perçoit la figure humaine de Fred Kleinberg comme un corps composite dont chaque partie est reliée à l’univers, appartenant aussi bien aux règnes végétal, minéral qu’animal. Compris dans sa relation avec son environnement naturel, l’homme devient alors une interface vivante, propre à suggérer une nouvelle alliance entre nature et culture. Celle-ci reconfigure notre statut de « maître et possesseur de la nature » pour mieux souligner ce qui nous constitue comme un « co-vivant ».Au moment où la biodiversité naturelle des environnements est le souci fondamental, la chair du monde, devient à nouveau un lieu d’initiation.

L’état moléculaire instaure alors une autre échelle : celle de la matière vivante. Les processus transformationnels et leur nature temporelle défont la préséance de la figure humaine, en soulignant la continuité complexe qui lie les êtres vivants dans le même humus. Elle l’inscrit dans la deuxième dimension de la croissance rhizomique de Deleuze : un continuum sans début ni fin, sans centre, ni périphérie. Cette phusis instaure un autre temps imperceptible qui n’est plus celui de la scansion, mais celui de l’immanence. » Il nous est apparu transmorphique d’intégrer cet extrait du texte « Temps de la nature ».

Kleinberg n’avait rien pour devenir artiste, pourtant… Certains partent faire leur CAP de fraiseur-fondeur dès l’âge de 14 ans. Le petit Fred choisit les Beaux-Arts au même âge pour parfaire son éducation et se retrouver face à la création. Pas de chance, il doit se confronter à de petits professeurs sans envergure comme Alechinsky… et d’autres grands maitres. Son cœur s’emballe et son esprit se décongestionne pour faire bourgeonner des dessins tivoliens à en faire pâlir le Cardinal d’Este (dans sa tombe). La ramure est frontale, décidée, homogène. Le dessin cervidalisé engage un regard franc, fort en mutation entre nature et culture. Captant l’état du monde, Kleinberg s’attèle à sa métamorphose.  « En retournant son œil, (…) on voit un paysage en soi. » Victor Hugo, Le Rhin.

Philippe de Boucaud

Du 8 janvier au 12 février 2022

Morpho, 33 boulevard Victor Hugo, 93400 Saint-Ouen-sur-Seine