« Rades » de Guillaume Blot : montrer le « merveilleux banal »

Pour le photo-journaliste Guillaume Blot, ces lieux bien de chez nous n’ont plus vraiment de secrets, hormis peut-être ceux des client·es qui les peuplent. « Un bon rade, c’est pour moi une devanture défraichie, un carrelage mosaïque, un sol qui colle, des chiottes pas hyper propres, où trônent une petite pancarte sur laquelle sont inscrits des jeux de mots bien gras. Le café n’y est pas très bon. Et puis il y a toujours une figure emblématique qui le gère, avec des personnes qui l’environnent. »

Tirant son nom de l’argot utilisé pour décrire avec affection un bar de quartier, « Rades » flashe et immortalise la vie dans les bistrots français, aujourd’hui « espaces en voie de disparition ».

Alors que l’on comptait plus de 200 000 troquets en France dans les années 1960, le nombre de licences IV a depuis vertigineusement chuté pour atteindre à peine les 40 000 actuellement. Documenter ces fermetures aurait pu être un angle. Donner à voir le verre vide, l’absence au comptoir, la décrépitude des crépis.

Cette série, elle, fait le choix optimiste et convivial de montrer le rideau à moitié levé plutôt que baissé de ces établissements hauts en couleurs, chaudement animés par leurs patron.nes et habitué.es s’y fréquentant au quotidien.

Sur la couverture de l’album « Rades« , il y a Gérard qui ne passe pas inaperçu. Un homme septuagénaire et bon vivant, au marcel bleu, aux lunettes noires, et à l’allure fière. Pour lui, le PMU, c’est un rendez-vous dominical, un lieu de retrouvailles avec ses amis au gosier en pente. Des piliers de bar comme Gérard, Guillaume Blot en a rencontré des centaines. Photographe spécialisé dans le documentaire, il a passé quatre années à parcourir l’Hexagone pour capturer l’ambiance propre à ces bars de villes ou de villages français. Avec son appareil, Guillaume Blot grave les détails surprenants, les décors originaux, les animaux qui habitent ces cafés. « J’ai voulu montrer les PMU dans leur jus authentique, habités par les habitués, les patrons et les patronnes« . Katia, gérante d’un troquet dans la Sarthe, témoigne de la manière dont la pandémie a affecté son commerce… ou pas. « Du jour au lendemain on a dû fermer les portes. Après avoir proposé du « click & collect » sur le compte Facebook du café, les clients ont répondu présent et ça nous a permis de tenir le coup ». Et d’ajouter : « mes piliers de bar sont des bons !« .

Des piliers de bar… et des bars piliers !

Né à Nantes en 1989, Guillaume Blot est d’abord journaliste avant de se spécialiser dans le reportage photo. « J’étais correspondant local et j’aimais raconter la vie du village où j’étais ». Peu à peu, il prend plaisir à graver par l’image et s’attache à raconter le quotidien des Français. Guillaume Blot avait déjà travaillé sur l’univers des friteries dans les stades : « J’aime bien les endroits colorés, vivants, avec de l’humain… Les petits riens du quotidien ! ». Pour lui, l’appareil photo est un « médium incroyable pour montrer le merveilleux banal ».

Avec plus de 220 immersions réalisées en 4 ans dans nos bars de l’Hexagone, « Rades » dresse en 162 pages avec tendresse un panorama de portraits, détails et scènes de vie de ces lieux “résistants”, en lice aujourd’hui pour être inscrits au patrimoine immatériel culturel français.

Embarquez donc sans hésiter et sans vous prendre la tête pour une tournée des bistrots, aux côtés d’Odette et sa bande de Saint-Étienne, Marc le lève-tôt du Sully, Coco le perroquet fou de Chez Rocky ou encore Liliane la patronne centenaire du Jura. Vous ne serez pas déçu du voyage et ne tomberez jamais en rade, si j’ose dire !

Christian Duteil

« Rades » de Guillaume Blot

Editions Hoebeke – paru en mai 2023 – 168 pages – 28 €