Solaris

Une nouvelle adaptation théâtrale du roman Solaris de Stanislas Lem réussit un pari exigeant.

Solaris, c’est l’histoire d’un groupe de scientifiques, dans un futur lointain, partis étudier une planète étrange depuis une station spatiale orbitant à proximité. Au fur et à mesure, les astronautes, n’ayant que peu appris jusque-là sur cette planète-océan, commencent à souffrir d’hallucinations. Sauf que ces « visions » s’avèrent être des personnages tirés de leur inconscient et se matérialisant réellement…  au point de véritablement envahir la station et de bloquer leurs recherches. Ils comprennent progressivement que ces apparitions seraient peut-être une tentative maladroite de la planète d’entrer en communication avec eux, l’entité étant une sorte d’océan pensant. On découvre peu à peu les différents savants, mais par le prisme de leurs pires névroses inavouées, leurs traumatismes, leurs hontes, leurs actes manqués. Au fil du récit se dessine ainsi une fresque tragi-comique de la pauvre et vulnérable condition humaine, mais aussi, en parallèle, une réflexion épistémologique profondément originale sur la vanité de la science et de ses outils, et sur l’impuissance de la connaissance humaine à imaginer et à appréhender des réalités trop éloignées de ses échelles familières.

Le défi était de taille : proposer une nouvelle adaptation sur les planches du roman du maître de la science-fiction Stanislas Lem après deux adaptations cinématographiques, un opéra et une adaptation théâtrale magistralement réussie, il fallait oser. Côté cinéma, une transposition de Tarkosvski aura certes séduit ses aficionados, mais peut-être éloigné le public de l’oeuvre de l’écrivain polonais, tout comme la mise à l’écran de Soderbergh où les clignements d’yeux arrondis de Georges Clooney et de sa partenaire ne suffisaient pas à refléter l’ampleur de l’oeuvre.

Si le film de Soderbergh restait très elliptique sur la plupart des thématiques, l’adaptation signée Rémi Prin et Thibault Truffert en 2018 au Théâtre de Belleville a ciselé, elle, un bijou scénique. Une pièce audacieuse et splendide qui nous faisait entrer de plain-pied dans les affres inconscients des différents scientifiques, enkystés chacun de leur côté pour lutter contre leurs propres démons familiers. Ce choix concentré sur la psychologie des personnages laissait la part belle à l’humour facétieux de l’écrivain pour qui les sujets exigeants n’empêchent en rien de savourer l’ironie de la situation. Des comédiens exceptionnels ( Thibault Truffert, Louise Emma Morel, Quentin Voinot et Gabriel Laborde) incarnant des personnages au bord de la folie, et une mise en scène sophistiquée aux décors ingénieusement évolutifs à base de tubes et de parois souples transparentes, un vrai régal accessible et drôle.

Une nouvelle adaptation risquait donc de s’enliser dans une aventure forcément plus pâlichonne, et pourtant… Ici l’espace est plus grand, plus statique, mais plus bancal aussi : un sol pavé de parpaings disjoints où les comédiens se prennent régulièrement les pieds symbolise parfaitement l’instabilité de ce que l’on croit réel, et qui constitue de fait la question centrale du récit. Des comédiens moins exubérants mais qui du coup ramènent à ce vernis de sérieux dont tentent de se parer les savants. Puis, au moment où le désarroi et l’impuissance restent les dernières certitudes qui subsistent dans ce désordre, il y a là, à point nommé, un dialogue aux envolées philosophiques à la fois brillantes et compréhensibles sur les questionnements métaphysiques et les buts de toutes ces explorations scientifiques, qui réussit avec un brio inattendu à rendre extrêmement actuelles et pertinentes les réflexions de Stanislas Lem. C’est d’ailleurs peut-être à cela que l’on reconnaît un vrai chef-d’œuvre : un roman qui, à chaque nouvelle adaptation, dévoile une nouvelle facette, et dont la profondeur apparaît finalement comme inépuisable.

Gaston Segway

adaptation, conception et mise en scène : Pascal Kirsch

avec : Yann Boudaud, Marina Keltchewsky, Vincent Guédon, Elios Noël, Eric Caruso, François Tizon et Charles-Henri Wolff

Du 1er au 3 juillet 2021 au MC2 Grenoble