Titouan Lamazou : « Attrape-moi si tu peux ! »

Avant l’entrevue, semblait s’imposer un titre comme « Eloge de la lenteur », manifeste cher à l’artiste. Le jour « J », plus les minutes s’égrenaient, plus il apparut évident que le concept de lenteur était à reconsidérer.

Titouan Lamazou parcourt le monde comme une particule élémentaire. Un concentré d’énergie pour qui le temps présent l’emporte sur la minute d’après. Il glisse, dans le flot de ses mots, que la seule possession qui le fasse vibrer, c’est sa liberté. Autant imprédictible que prévenant, il vous accueille en ami, en homologue sapiens, l’œil malicieux aussi bleu que le ciel du Pacifique, toujours animé en filigrane par cette vision, qu’il est bien plus captivant de « parvenir à regarder du point de vue que l’on a rejoint et non pas celui dont on vient ».

En suivant le cap de cet artiste-navigateur légendaire – qui harponna dare-dare tous les titres : 1er Vendée Globe, Route du rhum, champion du monde de course au large plusieurs années de suite – plus qu’une interview, une conversation s’engage, où l’on se surprend à se demander délicieusement qui est à l’écoute de l’autre.

L’éclosion d’une âme d’artiste dès l’âge de 11 ans, associée à l’appel du large, confirmée par une période de mouillage aux Beaux-Arts, constitueront, les pigments, le sel et la sueur d’une vie « en chaine et trame » d’art, d’explorations où s’entrecroisent moult rencontres et prolifiques croquis, au gré de L’Errance et le Divers.

Pourquoi le choix de ces mots qui constituent le titre de son catalogue autour du projet du Bateau-atelier et de son exposition au Quai Branly l’année dernière : L’Errance et le Divers?

Dans l’essai sur l’exotisme, cette phrase de Victor Segalen, médecin, romancier, ethnographe et bien plus encore, né à la fin du XIXe siècle, fournit une part d’explication substantielle : « Ne nous flattons pas d’assimiler les mœurs, les nations, les autres, mais au contraire réjouissons-nous de ne le pouvoir jamais, nous réservant ainsi la perdurabilité du plaisir de sentir le divers ». Edouard Glissant, romancier, philosophe, poète contemporain et bien plus encore, récemment disparu, complète l’éclairage dans son Traité du tout-monde où il déclare que « l’errance nous donne de nous amarrer à cette dérive qui n’égare pas ».

En effet, impossible de s’égarer si l’on suit la phosphorescente « VAI ORA A TE ATUA », en français « Eau vivifiante des Dieux » soit la Voie lactée, monumentale huile sur papier marouflé sur toile de Titouan dont le visuel enveloppe de clarté stellaire la densité d’un catalogue très philosophique. On peut y lire : « le tableau est un théâtre d’échanges lumineux, de relations, de connexions infinies».

Membre fondateur du Trophée Jules Verne, Peintre et écrivain officiel de la Marine, Artiste de l’UNESCO pour la Paix, il croque, esquisse, inventorie puis maroufle inlassablement, la vie, l’humain, la nature en confiant qu’en « langue océanienne le mot nature n’existe pas» car tout est intimement lié.

Avec humour, il qualifie de kitchs certaines de ses créations, sauf qu’à Tahiti les couleurs sont vraiment celles-là. Elles vous explosent la rétine comme la générosité des peuples océaniens vous explose le cœur.

Cette production en cours enrichie d’œuvres exposées précédemment au Quai Branly alimenteront la scénographie « archipélique » polynésienne, « témoin de l’imprévu », « intuitive », « comme un cabinet de curiosités », de sa prochaine exposition au Musée de Tahiti et des Îles – Te Fare Manaha en octobre 2021.

Cet évènement sera précédé de la mise en chantier du Bateau-atelier sous l’impulsion de mécènes, un projet de 30 ans, alliant innovation et performance. Décalé de par l’actualité sanitaire mondiale, le lancement de la construction de ce catamaran avec 300 m2 de pont dédié à la création est prévu en Nouvelle-Aquitaine fin 2020. Il battra pavillon français et sera basé à Papeete. Sous la houlette de l’association DIADORIM créée par Titouan Lamazou, sa vocation sera culturelle, scientifique et éducative à destination du jeune public. Cette double pirogue contemporaine de 30 mètres accueillera à son bord artistes et chercheurs en résidence la moitié du temps et sera proposée en charter l’autre moitié pour garantir son fonctionnement budgétaire. « Le Bateau-atelier est un porte-voix qui raconte et donne à voir le vivant : un plaidoyer magistral pour la préservation de l’environnement. L’accent sera particulièrement porté sur la mémoire des Peuples premiers et leurs relations indissociables avec le vivant végétal et animal, terrestre et maritime. »

Titouan Lamazou, éternellement en cheminement et fidèle à ses engagements, reprend bientôt sa circumnavigation au fil de l’eau, au plus proche de l’horizon des évènements, là où la lenteur flirte avec la vitesse lumière.

Un dernier mot, lorsqu’il prépare un voyage, il fait comme nous, il achète des guides pour identifier les lieux incontournables. Oui, il les identifie, mais pour mieux les fuir…

Pour le trouver, pour vous retrouver, un conseil, perdez-vous !

Cependant comme ses amis me l’ont confié, Titouan revient toujours.

Titouan Lamazou

Site : https://www.titouanlamazou.com

FB : Titouan Lamazou

Instagram : titouanlamazou

Musée de Tahiti & des Îles – Te Fare Manaha

Puna’auia

Pointe des Pêcheurs

Polynésie française

+689 40 548 435

Mail : info@museetahiti.pf

Site : museetahiti.pf

Valmigot

Photos : Valmigot – « VAI ORA A TE ATUA » et « BATEAU ATELIER » fond Titouan Lamazou