Brut et Joli

Brut et Joli

Associer ces deux termes de Brut et de Joli peut surprendre. Celui qui vient visiter une exposition au sein du Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital Sainte-Anne s’attend à être en prise directe avec des formes évoquant l’angoisse ou la discordance, ou bien encore à découvrir une création emprunte de naïveté. Cependant les perceptions ressenties par le visiteur, devant les œuvres qui sont régulièrement présentées dans ce lieu, sont souvent bien différentes. Et si surprise et émotion esthétique sont suscitées, c’est le plus souvent pour des raisons autres que la singularité et la marginalité esthétique dont l’Art Brut serait seul dépositaire. A contrario on souligne régulièrement et avec étonnement l’inventivité, la qualité technique, la force expressive et l’authenticité. Brut et joli est donc fondé sur un paradoxe : le brut n’est pas le caractère exclusif du désir de faire.

Dans sa diversité, la Collection Sainte-Anne recèle une catégorie d’œuvres dont il est rarement fait état en tant que tel. Ce sont le plus souvent, des paysages, des monuments ou des vues d’architecture, des natures mortes, des objets quotidiens, des représentations d’animaux familiers dont le caractère commun pourrait simplement être qualifié comme joli – telles les œuvres de Le Hien, de l’Anonyme indien, de René Héroult.

Pour parler de catégorie esthétique – ainsi en est-il du joli – il est nécessaire que plusieurs caractères soient présents : une impression émotionnelle ou sentimentale ; une disposition objective des éléments de l’oeuvre ; un genre d’idéal visé par l’oeuvre, ce qui permet d’estimer sa réussite, selon qu’elle s’approche plus ou moins de l’idéal recherché. Ces différents éléments sont en interaction, et l’oeuvre est le siège de tout un système de forces qui contribuent à lui donner une essence à la fois complexe et unique.

« Le joli, écrit A. Souriau, suppose une sorte de continuité souple dans laquelle les oppositions possibles à l’intérieur de l’oeuvre sont exclusives de toute rencontre brutale ou heurtée ; il suppose aussi une certaine perfection du détail« . De façon habituelle le joli et le beau sont rapprochés, mais généralement opposés voire hiérarchisés. Le joli serait une sous-catégorie du beau de par son absence de grandeur, de force et de par l’aspect prétendument superficiel de sa beauté.

A cette diversité du joli comme caractère commun des œuvres de la collection Sainte-Anne présentées dans l’exposition, correspond d’une autre façon, l’utilisation qu’ont pu en faire, à la même période – les dernières décennies du XXème siècle – certains artistes contemporains tels que Annette Messager, Gérard Gasiorowski, Martial Raysse et Luc Tuymans. Si chacun d’eux use du joli comme d’une évidence iconique, l’emploi qu’ils en font renvoie, de façon particulière à l’oeuvre de chacun d’eux. Les crayons de couleur du Bonheur illustré (1975-1976) d’Annette Messager reproduisent et répètent avec une nostalgie douce-amère les stéréotypes culturels des prospectus touristiques – paysages de rêve, biches et cerfs au bord d’un lac, animaux exotiques. Gérard Gasiorowski fait, pour sa part, du cliché – fleurs, natures mortes, paysage – et de son exploitation systématique, un outil d’épuisement de la peinture. Les préoccupations de Martial Raysse sont d’une toute autre « nature » lorsqu’au cours des années 1970, il s’éloigne du Nouveau Réalisme et du monde de l’art ; il dessine et il peint au crayon, au pastel, à la détrempe des œuvres sur papier qu’il nourrit d’observations des lieux et des objets qui lui sont familiers mais aussi de références mythologiques, littéraires et savantes, comme les promesses d’une peinture à venir. Quand à Luc Tuymans, c’est à l’interrogation de l’image qu’il voue sa pratique de la peinture à partir d’images existantes, d’images « déjà représentées » comme il le dira : un village idyllique, un monument, l’univers du « chez soi ». L’autonomie du pictural y est revendiquée de façon quasi conceptuelle comme un mode d’interprétation, un moyen d’élaboration de la vérité en inadéquation avec les matériaux photographiques initiaux qu’il utilise.

Anne-Marie Dubois
Responsable scientifique de la Collection Sainte-Anne et commissaire de l’exposition

Liste des artistes exposés :
Anonymes, Maurice Blin, Haydée de Carvalho, Noëlle Defages, Madeleine Dujardin, Pascal Durand,Claire Forêt, C. Gay, Solange Germain, Grammatico, Granjon, Patrick Heidseick, René Héroult, André Le Hien, Agnès Lévy, Jean Janes, F. Kouw, Foug, Gilbert Legube, Charles Lévystone, Edda Markos, G. Martin, Neveu, Marija Novakovic, Marcel de Valoy, Tray, Amy Wilde.

Artistes invités :

Gérard Gasiorowski, Annette Messager, Martial Raysse

Exposition jusqu’au 18 décembre 2016

MAHHSA Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital Sainte-Anne (Ex Musée Singer-Polignac)
Centre d’Étude de l’Expression
1 rue Cabanis 75014 Paris
www.centre-etude-expression.com

La Collection Sainte-Anne a reçu en mars 2016 l’appellation « Musée de France »

Ceci a pour première conséquence que le site d’exposition, anciennement appelé Musée Singer-Polignac change de nom, il s’appelle désormais MAHHSA Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital Sainte-Anne

Plus que jamais, ses missions seront de conserver, restaurer, étudier et enrichir la collection, mais aussi de la rendre accessible au public le plus large, de concevoir et mettre en œuvre des actions d’éducation et de diffusion visant à assurer l’égal accès de tous à la culture et de contribuer aux progrès de la connaissance et de la recherche ainsi qu’à leur diffusion.

Obtenir cette appellation est la garantie de la protection de la Collection, car les collections permanentes des Musées de France sont inaliénables et sont inscrites sur un inventaire réglementaire.

Par conséquent, les œuvres de la Collection Sainte-Anne font partie du Patrimoine National.