PEHE Tumu, les racines du rythme

Sous le banyan légendaire de la Maison de la culture, une femme gracile dont le corps est inversement proportionnel à la mémoire qu’elle porte narre les prémices de la reconstruction culturelle polynésienne dont elle est une des actrices majeures.

Le visage grave, la gestuelle précise, elle remplit l’espace dès sa prise de parole pour défendre les sons traditionnels de la Polynésie via la diffusion d’un CD qui les inventorie : ARA MARU – PEHE TUMU.

Ces percussions font partie d’un tout, indissociable du chant et de la danse interdits sous le Code Pomare et petit à petit réhabilités lors des festivités liées au 14 juillet dit « Tiurai » en reo Tahiti, il y a 140 ans.

Ces sons, plus exactement ces séquences rythmiques portées par notamment le Pahu, tambour à membrane de peau de chèvre et le Toere, tambour à fente tenu verticalement réalisé à partir d’un morceau de bois évidé frappé à l’aide d’une baguette de la même essence, avaient originellement pour fonctions respectives de communiquer entre les vallées pour l’un, « d’annoncer le commencement et la fin de l’offrande d’un sacrifice humain » pour l’autre selon Teuira Henry. Ils sont « un trésor vivant » faisant partie du patrimoine immatériel du Fenua. Les rechercher dans leur épure, les inventorier, les enregistrer, les transmettre sont autant de missions inscrites dans ce travail de mémoire.

Alors que le Ori Tahiti, danse tahitienne, reprend véritablement son essor dans les années 50 grâce à l’impulsion de Madeleine Moua et la création officielle en 1956 de son groupe nommé HEIVA qui signifie tout à la fois danse et divertissement, l’atypique Janine Ara MARU intègre cette formation à l’adolescence pour assurer les intermèdes permettant aux danseurs de changer de costumes. Elle dit d’elle-même, en toute humilité, que sa petite taille ne correspondait pas aux standards physiques des autres danseuses et pourtant !

Seule sur scène, elle s’exprima chorégraphiquement par le biais d’un des quatre genres de danses traditionnelles soit l’aparima. On y illustre par le mouvement et aux sons des musiques traditionnelles, les paroles d’une chanson, les mots d’une histoire. L’authenticité de la narration, puisée dans les scènes de la vie quotidienne, y est la règle. Le corps est l’instrument humain dont l’éloquence s’érige en art. Janine bouleversa tous les codes. Premièrement en excellant dans cette discipline puis en s’imposant par son seul talent dans les formations de danseurs en y apportant la dynamique notion d’enchainement accélérant la suppression de l’intermède, jugé, obsolète.

Elle rafla plusieurs fois le prix de « meilleure danseuse », devint chorégraphe, créa la toute première école de Ori Tahiti en 1975 dans le Pacifique. Par delà ses tournées internationales, elle occupa la fonction de jury et alternativement présidente du jury du prestigieux Festival annuel du HEIVA i Tahiti qui porte les concours officiels de chants et de danses dont elle a écrit une partie de l’histoire.

Aujourd’hui, à l’aube de ses 77 printemps, soit 2 fois l’âge de raison, la pourtant indomptable Janine affirme « qu’une danseuse n’est rien si elle ne connaît ni maitrise les pehe » et interpelle « la jeunesse de ce pays » pour l’enjoindre « à s’approprier ces 14 PEHE TUMU, ces percussions traditionnelles qui sont pour moi uniques, et qu’ils prennent conscience que la culture et la langue sont les piliers de l’identité. »

Dans cette démarche elle est financièrement soutenue par la SACEM Polynésie via Virginie Bruant, sa directrice, et la discrète mais néanmoins pugnace Carole Gavillon qui veille au respect des droits des artistes. Virginie rappelle que tous les ans, un « kit musical d’instruments traditionnels » est distribué aux écoles et elle propose d’y ajouter la promotion de ce CD didactique.

D’autres femmes remarquables contribuent au succès de ce CD (encore confidentiel avec ses 300 exemplaires mais déjà reconnu par le Conservatoire artistique de la Polynésie française Te Fare Upa Rau), comme Valérie Gobrait, enseignante en reo ma’ohi et productrice du support ainsi que Marie-Hélène Villierme qui en a assuré l’élégante infographie.

Ce patrimoine musical propose aussi des chants dont celui de la piste 24, Hava’e, qui s’inspire du nom de la passe « où déferle la célèbre vague de Teahupoo », celle qui accueillera les JO de surf de 2024. Ensemble surfons cette vague des racines du rythme et comme le dit la chanson « Tiens ferme la quille et garde le cap. Vas-y, fonce maintenant ! ».

Texte et photos : Valmigot

Infos pratiques :

Titre : ARA MARU, PEHE TUMU

14 séquences de percussions associées à des medleys – environ 26 €

En vente :

– Conservatoire de la Polynésie française – Tipaerui – Papeete 98714

https://www.conservatoire.pf

– Atomi Records – Quartier du Commerce – 23 rue Albert Leboucher – Papeete 98713

http://www.atomirecords.com/

Dès juillet 2021, accessible sur les plateformes en ligne