1001 reasons to (dis)OBEY

Après la Biennale d’Art Contemporain qui avait redonné vie à ce site patrimonial laissé à l’abandon, l’ancien Muséum d’Histoire Naturelle rouvre ses portes pour accueillir du 8 mars au 9 juillet 2023 une exposition inédite à base d’art urbain, de pop art, de culture politique, d’art engagé et de géants.

Plus grande rétrospective jamais organisé autour du travail de Shepard Fairey, l’exposition élaborée par le centre d’art Spacejunk en partenariat avec la Ville de Lyon nous offre une vue imprenable sur la carrière plus que prolifique de ce pionnier du street art. Réunissant plus de mille pièces depuis son premier autocollant en 1989 d’André de Giant jusqu’à ses travaux les plus récents empreints d’un militantisme immuable, elle retrace non seulement 34 ans de street art mais également une grande partie des combats politiques qui ont marqué notre société depuis la fin du siècle précédent.

L’exposition est telle que l’on semble sillonner entre les salles comme dans la pensée de l’artiste. Le visiteur a ainsi accès à son processus créatif et à l’évolution dont il est le sujet. La visite commence par la figure imposante mais pas moins amicale d’André the Giant, surnom donné au catcheur français André Roussimoff reproduite par centaines sur des stickers. Ce dernier deviendra la marque de fabrique de l’artiste dont les affiches en papier, vinyles et sérigraphies seront rapidement placardées sur les murs de dizaine de milliers d’endroits du monde.

Cette figure, ce clin d’œil humoristique adressé à la culture hip hop et communauté de skaters américains dont Shepard Fairey faisait partie prend ensuite une tournure plus graphique et s’associe à un slogan « Obey » inspiré par le film Invasion Los Angeles de John Carpenter. Véritable campagne anti-propagande, le label « Obey Giant » nous incite à nous questionner sur les obligations auxquelles nous nous plions la plupart du temps inconsciemment. Les œuvres de Shepard Fairey contrecarrent la communication officielle de la politique américaine. La guerre du Golfe, le port d’arme ou la quête du pétrole, tous les pans de la politique du président Bush Junior sont affichés frontalement, disséqués et mis en perspective sur des affiches, poches de disques et même planches de skates. L’art se doit d’être visible partout, tel est le mot d’ordre d’un artiste qui ne se cantonne pas aux murs des musées et galeries mais qui, loin de considérer l’art pour l’art, l’utilise afin de transcrire des engagements.

Bien que critique envers celle-ci, Shepard Fairey possède un intérêt marqué pour la politique. Il se lui fait à son tour propagandiste mais au service d’un homme qu’il voit comme pourvoyeur de paix pour son pays : Barack Obama. L’affiche Hope qu’il réalise pour sa première campagne électorale en 2008 est d’ailleurs restée l’une des œuvres les plus connues de l’artiste.

La notoriété de l’artiste lui confère une audace qui se ressent nettement dans son travail et ce n’est pas pour déplaire au visiteur qui peut contempler des œuvres où des thèmes comme la justice, le droit des minorités, l’écologie ou le pouvoir des lobbies sont jetés en pâture. Vivant sans cesse aux bornes de la légalité, arrêté à de multiples reprises, l’artiste n’en perd pas moins en popularité. Etonnamment même, plus il semble se débattre avec la justice plus ses œuvres se vendent et ses expositions attirent.

Et si elles attirent c’est aussi parce que Shepard Fairey a cette heureuse tendance à diffuser son style, les couleurs et le ton de son travail partout où il expose. Le contemporain de ses œuvres a su investir, habiller l’intérieur du musée trop longtemps laissé vacant et, en retour, les sublimes parquets boisés du 19ème siècle, par le contraste qu’ils créent, mettent en relief les sérigraphies de l’artiste. Un dialogue est ainsi créé entre murs de pierre, plafond en rotonde et dôme de zinc et stickers, skateboard et affiches colorées. Shepard Fairey reconnecte le musée avec son histoire, celle d’un lieu de vie qui fut à tour de rôle une brasserie, un théâtre, une patinoire.

Clou du spectacle, un dernier étage nous plonge dans l’univers musical de l’artiste qui lui a dicté la réalisation de nombreuses œuvres, pour la plupart à l’effigie de musiciens dont il admire la personnalité et l’engagement. La salle qui les abrite semble s’être convertie en studio d’enregistrement funky, arborant une couleur mauve de sa moquette jusqu’à ses colonnes cylindriques pour nous permettre d’apprécier la musicalité de l’œuvre de Shepard Fairey. A la fois sujet et support de son œuvre, la musique se retrouve sur les affiches qui rendent hommage à des groupes de rock mythiques et à des figures du mouvement rap mais également dans le format 45 tours dont il pare notamment 72 de ces œuvres lors de l’exposition Révolution à Los Angeles et à New-York en 2011. En quête d’universalité, ce dernier a trouvé dans la musique un moyen de toucher un public large, de le confronter tout en lui permettant de s’évader, de le questionner tout en le séduisant. Il confie « j’essaye de capturer dans mon travail la même énergie et l’esprit qui rendent la musique si puissante ».

Incontournable, cette exposition nous offre une lecture temporelle et thématique de l’œuvre de Shepard Fairey, faisant la lumière sur l’histoire de ses travaux les plus mythiques comme le portrait Hope de Barack Obama ou la Marianne adoptée par le Président de la République mais surtout nous invitant à ne pas nous contenter de notre statut de cible de la publicité consumériste et politique, à devenir des sujet conscients et pourquoi pas un peu désobéissants.

Cassandre Specty

Du 8 mars au 9 juillet 2023

Musée Guimet, 28 Boulevard des Belges, 69006 Lyon

Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 19h