Jean Charles Gandrille : portrait d’un compositeur inspiré.

C’est à l’occasion de la sortie de son album Gandrille piano trios que le compositeur nous ouvre les portes de son univers en nous accordant cet entretien.

Jean-Charles Gandrille insiste ; c’est bien une vocation pour lui que la composition, lorsqu’il se sent à l’âge de 10 ans un attachement tout particulier pour le piano et la musique classique, comme un appel. Il se noue là pour lui une poésie dont la profondeur reste inédite, et qui viendrait nous chercher par-delà toute dimension intellectuelle pour nous élever. Cette dimension de verticalité et de transcendance, Jean-Charles Gandrille lui trouve ses racines dans la religion chrétienne ; le compositeur nous parle d’émotion avec enthousiasme, et pourtant on sent bien à l’écouter qu’il se joue aussi dans sa musique autre chose, mystère dont les mots semblent ne pas pouvoir rendre compte. « Pour que des yeux voient, que des oreilles entendent… comment ne pas songer à Dieu ? », nous confie-t-il, dans cet émerveillement qui l’a conduit à la sortie de l’adolescence à embrasser la religion catholique. Dans une telle perspective, le terme « d’inspiration », qu’il emploie volontiers, prend un autre visage.

Après ses études au Conservatoire Régional de Paris, il obtient au Conservatoire National Supérieur de Musique de la même ville de nombreux prix d’érudition ; harmonie, contrepoint… Une solide et rigoureuse formation au sein de classes de professeurs renommés, tel Thierry Escaich, lui octroie dès lors toute la liberté de choisir sa propre voie musicale. Reconnu par ses pairs, Jean-Charles Gandrille est choisi pour de nombreuses commandes de Notre-Dame de Paris, et notamment pour la semaine de réouverture de la cathédrale, à l’occasion de laquelle il compose une messe, donnée le 14 décembre. Il ajoute qu’il se rend à quelques jours de notre entretien à Taiwan pour le dernier tour d’un concours international de composition, dont il est l’unique finaliste européen.

Jean-Charles Gandrille semble particulièrement soucieux de la réception de la musique contemporaine dite « savante » ; épithète qu’il rejette d’ailleurs en pointant les excès auxquels une certaine recherche musicale, telle que menée par Boulez, a pu conduire. Pour lui, un public possible serait celui des amateurs de musique de film ; la musique contemporaine dite classique, dont il est un représentant, n’a toutefois pas la place qu’occupe actuellement l’œuvre d’un John Williams par exemple, et sa diffusion auprès du grand public reste un véritable enjeu.

La dimension d’universalité de la musique est centrale, insiste notre interlocuteur, autant que celle d’immédiateté, dont elle est le corrélat indissociable. L’enjeu, nous dit-il encore, est de « toucher les sensibilités, les âmes et les cœurs » ; n’est-on pas saisi en effet à l’écoute du deuxième Concerto pour piano de Rachmaninov au plus profond de nous-même, voire dessaisi de nous-même et plongé dans ce qui nous dépasse ? Pour Jean-Charles Gandrille, cette immédiateté, comme une invite que la musique nous lancerait, s’éclaire tout particulièrement à la considération de la danse. Et le compositeur d’invoquer l’exemple des Quatre Saisons de Vivaldi, où l’on entend « presque de la techno » et qui représente pour lui le parachèvement de ce que peut proposer l’art musical. La musique traditionnelle en fournit un autre témoignage tout à fait exemplaire ; la musique y est prégnante de cette communicabilité et de cette universalité ; elle doit toucher celui qui l’entend. Aussi sa propre œuvre est-elle fortement imprégnée de ces musiques traditionnelles, dont il a entre autres exploré les versants sud-africains par la lecture d’ouvrages d’ethnomusicologie. Une musique non-écrite, forte d’un « groove », qui agit sur l’auditeur de manière compulsive et le pousse « à frapper des mains, à danser » ; dans les termes d’une certaine philosophie occidentale, on pourrait parler d’une union de l’apollinien et du dionysiaque, en quelque sorte d’une beauté qui nous prend au trippes.

Outre ces sources d’inspiration que sont les musiques traditionnelles, les pièces de Jean-Charles Gandrille puisent dans des traditions tout autres, et se rapprochent notamment du courant minimaliste et de ses motifs répétés. Ce sont des compositeurs tels que Steve Reich ou Philip Glass à qui l’on doit selon son mot un « retour salutaire » au tonal et au consonnant. Toutefois, il ne s’identifie pas tout à fait à ce dernier mouvement, en considérant qu’il va trop loin dans la redite, et lui préfère ce qu’il nomme un « minimalisme raisonné ».

A travers son album Gandrille Piano Trios, le compositeur nous propose l’intégrale de ses trios pour violon, violoncelle et piano écrits entre 2010 et 2019 et parmi lesquels on découvre une pièce inédite, composée pour le disque. On retrouve également son trio le plus connu, écrit en hommage aux victimes d’Auschwitz, et dont le deuxième mouvement tout particulièrement devait se faire « message d’espérance » en même temps que « mémorial ». Les quatre pièces recèlent des styles très divers, tout autant que les ambiances qui s’y esquissent. Sans jamais verser dans un atonalisme savant, la musique qui s’y déploie est au contraire particulièrement accessible -selon le souhait du compositeur- et déploie sous une apparente simplicité de belles trouvailles harmoniques et une originalité qui font que l’on goûte avec beaucoup de plaisir le disque entier ; on y avance attentif, étonné à chaque nouveau mouvement par la singularité et la personnalité du caractère proposé. C’est là une magnifique occasion de découvrir ce qui, hors des sentiers de la pop, se fait aujourd’hui dans le monde de la musique !

Eloi Hostein