Artothèques : l’art différent pour publics divergents

« Un jour on a proposé à dix familles du quartier de Lormont (Bordeaux) de faire un vernissage chez elles ». Phrase incongrue ? Pour les artothèques : banale. Depuis plus de 40 ans, ces « bibliothèques d’art contemporain » se sont très vite démarquées dans le paysage du monde de l’art. A l’occasion de la publication du podcast Mission artothèque, réalisé par l’Association de développement et de recherche sur les artothèques (Adra), retour sur les principes directeurs de ces maisons d’art à part.

Qui ne s’est jamais vu paradant avec Ben Stiller, le héros de la Nuit au Musée, chez soi parmi statues somptueuses et tableaux de renoms ? Prôner un art vivant et mouvant, attractif : tel est le credo des artothèques. Car si l’art fascine, il peut aussi apparaître fuyant. « Certains publics en sont étrangers : nous cherchons à accueillir tout le monde » explique en ce sens Anne Peltriaux, co-directrice de l’artothèque Les arts au mur de Pessac (Gironde).

Depuis sa création, le principe d’une artothèque se veut simple : contre un abonnement, pour ravauder la distance entre l’art et un public de néophytes, « nous offrons la possibilité d’emprunter une œuvre ».

Pour assurer une diffusion de ce travail et une promotion de ce modèle parfois méconnu, l’Association de développement et de recherche sur les artothèques (Adra) – coordonnant les 35 officines du réseau national – a lancé un podcast en ce début d’année 2025, Mission artothèque. Le titre est éloquent. Comme la Mission patrimoine de Stéphane Bern, l’accès à l’art apparaît bel et bien ici comme un objectif à atteindre avec force et pugnacité.

Un modèle complémentaire

Une œuvre se prête-t-elle au prêt ? Si cette question peut en hérisser certains, elle apparaît pourtant comme une réelle opportunité de diffuser l’art dans des lieux qui en sont, au départ, dépourvus. Bien loin de l’image d’un musée quelque peu figé dans son environnement proche, l’artothèque a en effet pour première mission d’investir l’ensemble de son territoire.

« Nous sommes complémentaires des Fracs et la suite logique du processus de décentralisation organisée depuis plus de quarante ans » reconnaît-on à Pessac. Ce maillage territorial est l’une des singularités des artothèques. La promotion de l’art n’est ici pas un but en soi. Elle s’entend non comme un tout, mais bien comme un élément au sein d’un objectif de diffusion plus large.

Les œuvres ne sont pour autant pas secondaires. Elles jouent le rôle de passeurs en s’inscrivant dans une réflexion territoriale. L’art devient ainsi catalyseur de lien social et de dynamisme au sein d’un territoire donné. « A Pessac, nous entretenons d’excellentes relations avec nos voisins » souligne en ce sens Anne Peltriaux, « l’ancrage territorial est très important pour nous. »

Au passage, les artothèques tordent le cou à l’idée jacobine reçue que « tout se passe à Paris ». Au contraire, dans ces lieux où créations et interprétations ; échanges et mélanges, affluent, un écosystème décentralisé vertueux se dévoile. Décorrélé de toutes valeurs marchandes, sans doute moins prestigieux que des grandes galeries, il réussit néanmoins le pari d’allier dynamisme artistique et engagement du public ; le tout dans des espaces de « ruralité », nouveau terme consacré.

La ministre de la Culture, Rachida Dati, s’en est d’ailleurs emparé. Au cœur de son nouveau Plan Culture et Ruralité 2025, la transfuge des Républicains a annoncé doter de 4 millions d’euros supplémentaires le réseau des artothèques. Objectif : « favoriser un accès direct aux œuvres d’art aux particuliers ». Un plan qui va « dans le bon sens » selon la directrice de l’artothèque girondine.

Une diffusion volontaire

Si ce soutien de plusieurs millions d’euros intervient alors même que la France connaît une période d’instabilité budgétaire, c’est sans doute car les artothèques ne sont pas uniquement de l’art pour l’art.

« A Pessac, nous sommes présents dans des hôpitaux, des écoles, des entreprises » liste notre interlocutrice. En d’autres termes, investir dans les artothèques revient à soutenir et améliorer le quotidien de nombre de concitoyens.

Pleinement ancrées dans leurs territoires, ces institutions se sont attelées non pas à une, mais à plusieurs réalisations. Des missions artothèques plurielles apparaissent donc, du fait d’une philosophie qui mêle plusieurs approches.

On note, tout d’abord, une volonté de recourir à une forme d’art-thérapie en voyant l’objet artistique non pas tant comme une décoration d’intérieur, mais bien avant tout comme un lien vers l’extérieur : une porte d’entrée pour des imaginaires en manque de repères (dans les hôpitaux) ou bien en pleine construction, parmi les petits écoliers.

Le principe des artothèques, ensuite, décline à sa façon l’idée originelle du mécénat : acquérir l’art dans un objectif de diffusion large et original, notamment de par les lieux choisis. L’on pense ici, bien évidemment, au mécénat d’entreprise qui, dès les années 50, sous l’impulsion du Groupe Renault, voit le jour en France. L’idée, développée au sein du groupe automobile par Claude Renard, est sensiblement la même : dé-sanctuariser la place de l’art pour mieux révéler ses forces et ses sens.

Enfin, les artothèques développent également le principe de résidence d’artistes. A l’artothèque de Vitré (Ille-et-Vilaine), qui a fêté ses cinquante ans en 2023, l’on propose de « créer, rechercher et expérimenter » de nouvelles formes d’œuvres, sur des périodes de trois mois à un an. Au-delà d’attirer de jeunes artistes, la résidence a pour volonté d’axer son travail sur le territoire local. Une belle mise en valeur pour une petite ville moyenâgeuse en manque de notoriété.

La situation du Pays de Vitré n’a cependant jamais été un frein. Dès les années 80, le grand collectionneur d’art Bernard Lamarche-Vadel impulse le mouvement en s’investissant personnellement dans la naissance du lieu culturel au cœur de la ville. Aujourd’hui, l’artothèque Le quai des arts jouit d’une collection de renommée nationale, notamment de nombreuses photographies.

Un accompagnement d’orfèvre

Ces idées directrices se traduisent également en chiffres, témoins de la réussite de l’entreprise. A Pessac, l’on compte 1500 prêts par an, en constante progression depuis son ouverture en 2002. « De nombreux particuliers sont désormais des habitués et les organismes privés sont également très demandeurs » souligne Anne Peltriaux.

Didactique, l’émission Mission artothèque témoigne tout à la fois d’un engagement profond sur lequel s’appuie le réseau des artothèques, mais aussi de la nécessaire adhésion au projet par l’artiste. « Nous travaillons dans une optique de développer une collection généraliste » précise Anne Peltriaux. « Pour cela, on utilise nos réseaux locaux et nous partons également en prospection pour nous informer et trouver les prochains artistes ».

Chaque exposition est donc avant tout une rencontre, un échange avec une sensibilité artistique. Au-delà de la médiation culturelle, l’artothèque redéfinit également le rapport entre l’œuvre et l’artiste. A travers un accompagnement sur mesure, un plein soutien financier et une aide logistique, l’artiste est suivi pas à pas.

Exigeantes, ces institutions accompagnent donc tout autant le public que l’artiste. Au fil des expositions qui représentent un investissement financier et humain, le réseau entend doter ses différentes vitrines d’une collection.

Puis, « nous conservons ensuite les œuvres. Elles peuvent continuer de tourner, ou faire l’objet de nouveaux accrochages dans nos locaux » poursuit-elle. Ce réseau structuré et ce fonds d’œuvres commun garantissent in fine l’agilité et la viabilité du modèle des artothèques.

Et c’est ainsi que la Régie de Quartier de Lormont a pu compter, du jour au lendemain, parmi ses habitants, dix heureuses familles locataires d’œuvres d’art.

Une œuvre vaut-elle un apéritif ? Les deux se mélangent dans le projet Une Oeuvre chez Soi qui « résume bien notre réussite dans l’accès de l’art au public » se félicite Anne. Vecteur de lien social, l’art prend alors tout son sens. Et la nuit au musée devient veillée.

Gabriel Moser

Mission artothèque, 3 épisodes de 20 minutes. Disponible sur l’ensemble des plateformes d’écoute ainsi que sur le site de l’Adra.

https://adra-artotheques.com

Les arts au mur, 2b Av. Eugène et Marc Dulout, 33600 Pessac

Le quai des arts, 1 Rue du Bourg aux Moines, 35500 Vitré