Connexions secrètes, Delacroix et les arts « Un Pont Mystérieux »

Nuances de pensées colorées, visuelles, auditives et émotives chez Eugène Delacroix  

Le thème de l’exposition Delacroix et les arts « Un Pont Mystérieux » est tiré d’une acquisition récente par le musée d’une nouvelle œuvre de Eugène Delacroix nommée  » La Fuite du contrebandier« , lithographie dite d’interprétation sur papier datée entre 1831 et 1833, illustrant la partition d’une ballade d’Ambroise Bétourné (1795-1835) sur une musique de Théodore Labarre (1805-1870).

Tout comme le compositeur Scriabine qui voyait des couleurs lorsqu’il écoutait de la musique ce qui le conduisit à réaliser un cercle chromatique proposant des correspondances entre une note musicale et une couleur ; tout comme Rimbaud qui dans son poème  » Voyelles «  établit une corrélation visuelle entre les voyelles et les couleurs, Delacroix a été sensible lui aussi à ces formes synesthésiques :  » cette « étrangeté » neurologique non pathologique se produisant quand une information destinée à stimuler un des sens en sollicite un autre ». 

C’est par un retour à sa sensibilité vécue comme artiste, à son ressenti devenu point de départ de sa réflexion qu’il abordait cette recherche, travaillé en lui-même par la musique, la littérature et la voix d’opéra. 

Cette exposition contribue par son approche à répondre au souci de tout artiste: l’élucidation de la création, de ses enjeux, de ses fondements, de ses nécessités, de ses transversalités techniques et formelles.  

Dans son ouvrage  » Des critiques en matière d’art « , édition L’Echoppe, 1986, Eugène Delacroix indique « l’histoire du vrai beauet surtout l’histoire de ces variations, paraît une lacune véritable que nous essayons de remplir de notre mieux … ».

Delacroix écrivit entre 1814 et 1819 une pièce de théâtre qu’il ne publiera pas « Les Dangers de la cour » ; jeune homme il fut comédien et se représenta en Hamlet dans un tableau ; s’inspira d’une pièce de Lord Byron pour La Mort de Sardanapale ; de celle de William Shakespeare  » Roméo et Juliette » pour son tableau  » Roméo et Juliette : scènes des Tombeaux des Capulets  » .                                                                  

Il apprit et joua des instruments de musique comme le piano et le violon et s’intéressa beaucoup aux différents arts mais la musique fut celui qui l’attira le plus après la peinture. Il aimait écouter Beethoven et Mozart.

Delacroix fréquentait régulièrement Frédéric Chopin, « son cher petit Chopin », grand nom du romantisme musical européen qu’il dessina en Dante, il aima sa musique et admira l’homme.

Chopin et lui se retrouvèrent régulièrement chez le Prince et homme d’Etat polonais Adam-Georges Czartoryski à l’hôtel Lambert. Plus tard, Liszt réunit lors d’un dîner George Sand, Chopin et Delacroix qui se lièrent définitivement d’amitié.  

Delacroix aimait écouter la voix de Madame Potocka chanter les « Nocturnes  » et autres morceaux de piano de Chopin, l’accompagnant sur des airs comme celui «  du Moulin de Nohant qu’elle arrangeait par un Ô Salutaris, cela se faisait admirablement. »

Curieux sans fin, il a su ouvrir son esprit à la culture des autres disciplines ainsi qu’à leur évolution. Il s’intéressait vivement aux artistes étrangers qu’il respectait tel Turner, le recevant à Paris rue de Furstemberg.

                                                                         

Dans son Journal il écrivit en janvier 1824 «J’ai oublié de noter que j’avais envie de faire par la suite une sorte de mémoire sur la peinture, où je pourrais traiter des différences des arts entre eux. Comme par exemple que, dans la musique, la forme emporte le fond. Dans la peinture, au contraire. On pardonne aux choses qui tiennent au temps en faveur des beautés du génie. »
Poursuivant par ces remarques constitutives de son caractère «Il ne faut jamais compter comme un dérangement le temps donné à un concert, pourvu qu’il y ait seulement un bon morceau. C’est pour l’âme la meilleure nourriture. »                           

« L’exécution dans la peinture doit toujours tenir de l’improvisation, et c’est en ceci qu’est la différence capitale avec celle du comédien»
« … Au lieu de penser à des affaires, … paperasses et occupations rebutantes …, je ne pense qu’à Rubens ou à Mozart : ma grande affaire pendant huit jours, c’est le souvenir d’un air ou d’un tableau. »

La pensée, le souffle de la respiration, l’image naissante sont à l’origine de toute chose ; le goût d’avancer en prenant appui sur des références choisies sont indispensables au peintre, au créateur.

À notre époque où les transversalités se manifestent, sont présentes partout, il est bon d’interroger comme le faisait déjà en une sorte de précurseur Eugène Delacroix, la transversalité de la création. Telle qu’on peut la voir, elle est abordée aujourd’hui dans les différents arts par diverses approches où se croisent musique, beaux-arts, sciences, philosophie, littérature, cinéma et arts plastiques.
De même nous retrouvons aujourd’hui cette quête de compréhension du phénomène de la création et de ses conséquences sur l’évolution de l’intelligence chez l’apprenant, en didactique et par certaines études des Sciences de l’Education.

Comme cela fut envisagé à l’INRP, Institut National de la Recherche Pédagogique, de Paris situé rue d’Ulm puis à Lyon. Dès les années 1985-1990 les disciplines se réunissent de manière collégiale par groupe de recherches ; par exemple dans le cadre d’un séminaire la philosophie est jointe aux arts plastiques, à la musique, à la littérature et à l’éducation physique et sportive. Les Chercheurs associés se retrouvent pour réfléchir aux phénomènes propre à la création ; à sa positivité sur l’évolution de l’esprit d’un individu, ses inclinations, sa pensée, son intelligence et son art.                                                   

Une analyse poussée est menée sur cette connexion secrète que la création établit entre les différents savoirs, l’étude de leur progression par interrelation(s) présentes ou à venir, l’évolution et l’acquisition de ces interconnexion(s) prometteuse(s) d’où l’esprit se construit et jaillira. 


Cette nouvelle scénographie du musée nous permet d’envisager cet artiste sous l’angle de la puissance de sa création interrogée par lui-même et par nous-mêmes grâce à cette convergence des vecteurs portés par chaque discipline.
Qu’est-ce que peindre ?                                                                                                                                

Qu’est-ce que créer en peinture ? Qu’est-ce que jouer et interpréter la musique ? Qu’est-ce que composer ?  Qu’est-ce que créer en littérature et en poésie ? 

Qu’est-ce qu’écrire ?
Qu’est-ce qu’écrire en musicien, en peintre ? Comment écrire un livret d’opéra, comment écrire en littérature ? Comment interroger cette écriture: sa genèse, son développement, son expression stylistique, son aboutissement ?


Delacroix distingua et définit dans sa création peinte plusieurs étapes : le projet, le schéma, l’esquisse, l’ébauche et l’œuvre aboutie. Mais il lui fallait, il nous faut savoir, comment considérer la sublimation artistique, définir sa transcendance, intrinsèquement et via son médium ?

Comment définir le contenu de cette alchimie qui la constitue ? Comment expliciter son parcours ? Comment différencier ces alchimies spécifiques à chaque art et les réunir dans leur(s) similitude(s), leur(s) rapport(s), leur(s) opposition(s) ? 

Situé dans un environnement ravissant et propice à la genèse de son Œuvre, le Musée national Eugène-Delacroix est entouré d’un jardin sur son flanc nord-ouest dans lequel aimait se promener l’artiste. Depuis la verrière de son atelier, il pouvait le voir en vue plongeante « La vue de mon petit jardin et l’aspect riant de mon atelierme causent toujours un sentiment de plaisir. »                                                                                 

Le charme de ce lieu – loin des tumultes de la ville, de son mouvement perpétuel que Paganini illustra au violon à cette même époque avec virtuosité – la présence d’un esprit en éveil et ouvert y demeurant, conduisaient à la cristallisation, à l’établissement d’un  » Pont  » entre des émotions, entre ses émotions et celles de ses contemporains choisis.         

Texte et photos : Philip Lévy

Du 18 février au18 septembre 2023

Musée national Eugène-Delacroix, 6 rue de Furstemberg, 75006 Paris

Ouverture du musée du mercredi au lundi, de 9h30 à 17h30 – Fermé les Mardis et les1er janvier, 1er mai et 25 décembre – Nocturne chaque premier jeudi, jusqu’à 21h