Fragments et Calek, mis en scène par Charles Berling

Nous avons pu voir au théâtre de La Scala deux pièces mises en scène par le comédien Charles Berling. La première, Fragments, est une interprétation de Bérengère Warluzel d’un montage de textes philosophiques, politiques et “d’escapades poétiques” de Hannah Arendt. La seconde, Calek, est une mise en scène d’un extrait des Mémoires de Calek Perechodnik, Suis-je un meurtrier ? juif polonais mort à cause des persécutions nazies.


Charles Berling a choisi pour Calek d’interpréter d’une manière sobre le journal de Perechodnik et de caractériser, et la mise en scène, et la diction, et le décor, par la voie du « a levare » (dépouiller). Le grand architecte Bauhaus Mies van Der Rohe disait toujours que « less is more » : Berling en est ici un adepte fidèle. La dignité et l’humanité de Calek en ressortent ainsi démultipliées : ses mots, sans aucune prétention littéraire, se transforment en un avertissement troublant et émouvant qui s’adresse à nous, malades d’oubli et de présentisme.

Le metteur en scène a découpé le journal de Calek en se concentrant sur la journée de la rafle du ghetto d’Otwock, au sud de Varsovie, dans lequel Perechodnik travaillait comme policier au sein du Judenrat. Journée funeste où son épouse Anna et sa fille Athalie seront déportées. Cette pièce constitue un monologue halluciné et désespéré qui mine les certitudes morales et nous pousse à une réflexion profonde autour de l’innocence, l’ambiguïté éthique, le choix.

Calek est l’un des rares survivants du Ghetto : il se réfugie dans un appartement à Varsovie et commence l’écriture de ses Mémoires. Il meurt en 1944 lors de l’Insurrection de la capitale, après avoir confié son journal à un ami polonais.

Nous avons été moins sensibles à la mise en scène de Fragments : on regrette que la personne de Hannah Arendt devienne à la fois une sorte de personnage de fiction et une prophétesse antimoderne, interprétation que la philosophe Arendt aurait sans doute réfutée. La pièce ne nous fait pas entendre jusqu’au bout la pensée politique d’Arendt : sa vision du nazisme comme héritier du colonialisme et des impérialismes européens n’est jamais mentionnée. L’entremêlement un peu confus d’interviews, de textes poétiques, politiques et philosophiques ne nous permet pas de saisir la radicalité d’Arendt.

Perrine Decker

Calek : Le 29 mars 2024 : Reprise au Grrranit, scène nationale de Belfort