La rentrée de Nicolas de Staël : Jeanne ou le réel

En cette rentrée littéraire 2023, Jeanne ou le réel, un essai consciencieusement documenté de Philippe Rassat, soignant en pédopsychiatrie, et de Pierre J. Truchot, enseignant en philosophie, met en lumière l’influence majeure d’une passion amoureuse dans l’œuvre de Nicolas de Staël (1913-1955).

Rythmée de visuels, de citations, de lettres et d’une écriture fluide qui s’envole parfois en poésie, cette réflexion ciselée lève le voile sur « l’impossible à dire, l’impossible à imaginer » et la manière pour ce peintre français d’origine russe de « débusquer le réel par sa peinture » dans l’ultime partie de sa vie.

L’essai s’articule autour de huit moments. Un huit qui s’allonge n’évoque-t-il pas l’amour et l’infini ?

En « ouverture » les auteurs font une mise au point sur ce mot « réel » à envisager en « opposition, en différenciation du mot réalité ». Cette clef de lecture ouvre les suivantes, de « tentative de restitution d’un tableau apparemment confus », en passant par « voir pour peindre, peindre pour voir », pour prendre le temps de comprendre dans « une femme, deux hommes », l’amitié profonde qui unit le peintre au poète René Char. Les deux hommes entretiennent un feu intérieur pour Jeanne Polge. Jeanne et Nicolas se rencontrent en 1953. Nous lisons :« Il va lui falloir composer avec une passion charnelle qui va s’entrelacer avec sa passion vitale pour la peinture. Le monde et l’intime font faire nœud. »

« Comment penser Jeanne et penser peinture en même temps ?» devient l’obsédante question inaugurale de cette dernière période de l’existence de Nicolas de Staël.

Au couteau, à la spatule, à la brosse ou au pinceau, la force de ses toiles se caractérise par cette « capacité de générer des images, à faire appel à la puissance imaginative de chacun ». Ses abstractions picturales génèrent des projections mentales teintées du « sacré de l’immanence composée de mystère et d’un beau inexplicable ».

Le quatrième moment, « Les nus, un problème de parallaxe », nous plonge dans « ce nu si adorablement obsédant ». Adorable, jusqu’à quel point…de fuite, jusqu’à quel bleu de l’âme ?

Cet essai aurait pu s’intituler La passion selon Nicolas tant Eros se lie à Thanatos, tant cette histoire de l’intime est tout autant la nôtre et celle de l’humanité tout entière. Le processus créatif se nourrit d’absolu, de chair, de vermillon, d’aplats fusionnels, de générosité du désespoir, dans ces lignes de force qui transpercent jusqu’à la mort.

« Avec Jeanne il venait de rencontrer l’altérité radicale des corps, le cœur même de l’entrelacs de la chair et il n’en revenait pas.  Et il devait le peindre puisque c’était sa solution, sa solution à tout. »

Jeanne ou le réel, un essai qui se boit d’un seul trait pour s’enivrer « d’un moment inouï de peinture pure au cours duquel une énigme se joue ».

Valmigot

Jeanne ou le réel – Essai sur Nicolas de Staël, de Philippe Rassat et Pierre J. Truchot

Éditions de l’Harmattan – Date de parution : Septembre 2023

148 pages avec illustrations – citations Staël – lettres – 19 €