Lacan, l’exposition à Metz : quand l’art rencontre la psychanalyse

Depuis l’Antiquité, la science et la philosophie n’ont cessé de se poser la question : qu’est-ce-que voir ? Lacan a parcouru toutes les théories de la vision mais c’est finalement l’Evangile de Matthieu qui mène à tout éclairer : « Ils ont des yeux pour ne pas voir » dit le Christ. Lacan s’interroge alors : « Pour ne pas voir quoi ? » si justement les choses les regardent. Renversement radical et décisif, ce qui détermine foncièrement les sujets voyants dans le visible, dit-il, c’est le regard qui est au dehors. Ici, dans cette vaste et subtile exposition Lacan à Metz, quand l’art rencontre la psychanalyse, les peintres, dessinateurs, sculpteurs brandissent le regard comme objet de l’art lui-même. Nous voyons les oeuvres, mais nous aussi sommes regardés par elles.

« J’enseigne que la vision se scinde entre l’image et le regard, que le premier modèle du regard est la tâche d’où dérive le radar qu’offre la coupe de l’oeil à l’étendue. Du regard ça s’étale au pinceau sur la toile pour vous faire mettre bas le vôtre devant l’oeuvre du peintre. On dit que ça vous regarde, ce qui requiert votre attention » (Jacques Lacan « Hommage à Marguerite Duras »)

La théorie du miroir, élaborée par Jacques Lacan en 1936, met au jour le rôle remarquable de l’image et révèle le drame intime que chacun doit traverser pour s’identifier à lui-même, accéder à l’unité de son corps et pouvoir dire « Je ».  Cette théorie est donc révélatrice de la question de l’identité, qui se constitue dans une aliénation, à l’image de Narcisse peint par Caravage ou de la scène de Taxi Driver chez Martin Sorcese. Le miroir est au coeur de l’expérience analytique, comme l’incarne au centre Pompidou-Metz, l’installation de Leandro Erlich.

Au début des années 1980, l’omniprésence des images a d’abord laissé craindre la disparition de toute forme d’invention. Finalement, les artistes sont parvenus à démontrer qu’il est toujours possible de refaire, d’imiter et de recommencer, tout en obtenant des résultats variés.

Aux quatre objets emblématiques – le Sein, la Merde, la Voix et le Regard – s’ajoutent par capillarité, la Chute, le Rien, le Corps morcelé, mais aussi le Phallus, en tant qu’il est pour Lacan, le signifiant du Manque. « Le phallus vise de la façon la moins ambiguë son rapport à la jouissance ».

Dans son séminaire sur Les Psychoses, Lacan explique que « l’Inconscient est structuré comme un langage ». En 1971, il précise son point de vue en inventant le néologisme « lalangue » pour désigner une fonction du langage en prise avec ce qu’il qualifie de réel. Autour d’une grande installation de Marcel Broodthaers reliant le « coup de dés » poétique de Stéphane Mallarmé à la pensée analytique de Lacan, les artistes fêtent les jeux de mots et d’esprit, la littéralité, les lapsus, les éjaculations sonores, le babil, voire la langue des oiseaux avec en prime la palissade de skis « rossignolesques » de Raymond Hains.

On sort de là, au bout de plus de deux heures de déambulation artistique dans tous les recoins de cette exposition pas comme les autres, avec des yeux de voyous/voyeurs/voyants fascinés notamment par la vision de L’Origine du monde de Gustave Courbet et Les Ménines de Diego Vélasquez qui font partie des prêts exceptionnels dont bénéficie l’exposition Lacan (avec le Narcisse du Caravage, Le faux miroir de René Magritte et Le Portrait de l’infante Marguerite Thérèse de Didier Vélasquez). On est alors comme hors de soi-même, imprégnés de l’extase des mystiques touchés par la grâce divine et au comble de la jouissance. Au Nom-du-Père.

Christian Duteil

Photos : Joséphine Libératore

Du 31 décembre 2023 au 27 mai 2024

Centre Pompidou-Metz, 1 parvis des Droits de l’Homme, 57020 Metz

Du lundi au dimanche de 10 h à 18 h – fermé le mardi