L’hirondelle

Admirer Carmer Maura sur une scène de théâtre, beaucoup en rêvaient. On connait cette icône du cinéma espagnol grâce au succès des films de Pedro Almodovar ou d’Etienne Chatillez. On ne savait pas ou peu que la comédienne avait joué dans la version originelle de cette pièce pendant plusieurs saisons en Espagne. Le producteur français a eu l’excellente idée de lui proposer une adaptation en français, pour 60 représentations exceptionnelles au Théâtre Hébertôt. Je dis souvent à nos lecteurs qu’il faut nous faire confiance –et je mesure que cela ne s’avère pas toujours aussi évident, peut-être moins encore pour les férus de spectacle vivant qui ne se contentent pas comme les néophytes, d’une célébrité sur une affiche- et ce doit être encore le cas ici. Rien ne saurait être dévoilé au risque de briser l’effet de surprise que l’histoire réserve aux spectateurs.

Alors oui, je vous enjoints à voir ce spectacle de toute urgence. Pour Carmen mais aussi pour ce merveilleux comédien, Grégori Baquet, qui forme avec elle un duo vertigineux d’intensité, tout en contenance. Ils se rencontrent autour d’un motif fallacieux, on le comprend très vite. S’engage alors un combat, une valse statique où il faut juger des forces de l’adversaire, lui tirer les vers du nez sans trop en divulguer sur son propre passé et ses intentions. Conduits par une metteuse en scène qui se devait d’être aussi comédienne, car tout l’édifice repose sur la précision avec laquelle les acteurs en présence abattent leurs cartes… ou les retiennent un moment encore, tant les raisons qui les animent sont douloureuses. Ne pas trop en faire, voilà sans doute le conseil qu’Anne Bouvier a dû prodiguer à son casting quand tout pourrait les inciter à l’agitation de papillons s’approchant trop vite et trop près de l’incandescence.

Le verbe est haut mais jamais ampoulé. Il faut viser juste, dire le vrai et l’essentiel alors que les mots eux-mêmes semblent incapables à traduire l’émotion qui tenaille les deux protagonistes. Ils y parviendront pourtant, presque malgré eux, comme portés et emportés par une force vitale et invisible qui les pousse l’un vers l’autre. Des lambeaux de chair tomberont çà et là mais la marche inexorable mène à la résilience. Quel malheur a bien pu les frapper pour qu’ils se montrent si réservés, prudents, frileux, effrayés ? Je n’en dirai donc rien. « L’hirondelle » ne fait pas le printemps, n’est-ce pas ? Elle reste cependant un signe, un espoir de lendemains apaisés. Et ce que parviennent à atteindre Paul et Maria révolutionne leur for intérieur, alternant les moments de tension et poignants. Mais ils font aussi, au travers d’une histoire personnelle qui s’inscrit dans la grande, bouger les lignes du regard de tout un chacun, celles d’une société qui ne tolère pas ou à tout le moins ne fait pas toujours le pas de côté pour embrasser les problématiques sous tous leurs angles. Ce n’est pas rien. C’est énorme… le plus bel accessit que le théâtre puisse escompter. Grégori Baquet, dans l’interview accordée à Vents d’Orage, évoque cette vocation ultime :

(lien vers le fichier audio)

Le pitch : Paul rencontre Maria professeur de musique et mère de Danny, l’ami de Paul. Ils ne se connaissaient apparemment pas mais souffrent d’une absence commune. Deux acteurs exceptionnels pour un face-à-face intense et bouleversant…

Le mot de la metteuse en scène : « C’est Pascal Héritier, producteur, qui m’a fait découvrir cette pièce qui se jouait à guichet fermé en Espagne. Je l’ai lue d’une traite, absolument bouleversée, comme on peut l’être à la sortie d’un film. J’ai donc immédiatement accepté de la créer en France, qui plus est, avec Carmen Maura, immense actrice, icône d’Almodovar. À ses côtés, Grégori Baquet, un de nos grands acteurs de théâtre. C’est donc une distribution exceptionnelle pour un projet exceptionnel.

L’histoire ? Un jeune homme vient prendre des cours de chant auprès de Maria : célèbre professeure. Très vite on comprend que ce n’est qu’un prétexte. Il a une grande révélation à lui faire qui va changer leurs vies et les lier à jamais. Je ne vous en dis pas plus … On est tout de suite en empathie avec ces deux personnages profondément humains, confrontés à l’impensable, aux destins désormais liés, et qui vont apprendre à se reconstruire l’un grâce à l’autre. À travers leurs cœurs, leurs âmes, ils nous entraînent dans les méandres de la résilience, du pardon, de l’acceptation de la différence, et surtout de l’amour. L’écriture de Guillem Clua est simple, fluide, concrète, drôle, vive, intelligente.

On se reconnaît en chacun de ces personnages. L’universalité des thèmes et du propos nous emportent sans aucune complaisance et avec beaucoup de finesse. Dans un décor raffiné et poétique signifiant la maison de Maria, on assiste à une rencontre intime et forte dont on ressort différent.

Le thème musical est magnifique et nous embarque telle l’hirondelle : symbole de paix et de liberté vers un avenir meilleur. Et comme dit la chanson : « Tu reviens et tu remplis la vie d’été ». On n’est jamais vraiment parti tant que l’on se souvient. »

Bande annonce

David Fargier – Vents d’Orage  

L’hirondelle

Auteur : Guillem Clua ; Mise en scène : Anne Bouvier ; Avec : Carmen Maura et Grégori Baquet

Jusqu’au 27 février, du mardi au dimanche (60 exceptionnelles)

Théâtre Hébertôt, 78 bis bd des Batignolles, 75017 Paris

Réservations