Focus sur la haute Kabylie

Tous les deux ans, la Fondation Henri Cartier-Bresson distingue un photographe dont le travail mérite d’être soutenu, lui offrant l’opportunité de poursuivre un projet ambitieux et de l’exposer au sein de la fondation. En 2023, c’est Karim Kal qui a été récompensé, donnant naissance à son projet Mons Ferratus.

Avec un style immédiatement reconnaissable, Karim Kal s’inspire des codes de la peinture, un domaine dans lequel il a été formé. Diplômé des Beaux-Arts, son parcours lui confère une approche technique et précise de la photographie.

Mons Ferratus c’est quoi ?

Mons Ferratus, ou ‘la montagne de fer’ en Latin, est une expression qui fût employée par les Romains pour désigner la chaîne montagneuse du Djurdjura en Kabylie, au nord de l’Algérie. Portant fièrement son nom, elle est réputée pour être impénétrable à l’ennemi, faisant l’objet d’un grand nombre de création poétique à travers l’histoire. Ses villages, perchés sur les crêtes de ses collines, font face à toutes les contraintes que cela implique. Depuis l’Antiquité, les occupants de la montagne ont su refouler les forces qui les oppressaient, inscrivant leur résistance dans l’histoire.

La haute Kabylie montagneuse bénéficie d’une histoire socio-politique particulière à son environnement, perçue dans l’esprit collectif comme un lieu de mystère et de résistance aux dominations. Pendant deux ans Karim Kal part à la recherche de ce récit, d’une compréhension de ce qui se cache dans ces villages de hautes altitudes. Son travail se concentrant généralement sur des zones isolées, exclues d’un projet commun où les gens sont livrés à eux-mêmes. C’est donc naturel pour lui de venir explorer la ‘montagne de fer’, connue pour avoir abrité des militants du Front de Libération National (FLN).

Les projets précédents de Karim Kal étaient centrés autour de maisons d’arrêts, de banlieues et plus généralement de zones urbaines délaissées. Celle-ci s’inscrit parfaitement dans sa ligne de création: des villages en proie à des conditions climatiques et sociales contraignantes où l’autorité officielle ne semble pas accéder.

Abstraction et technique

Mons Ferratus propose une exploration photographique singulière, capturant la Kabylie sous un prisme abstrait et nocturne, sans présence humaine directe. À la place, l’artiste met en lumière les traces laissées par l’homme et la civilisation dans ces paysages.

L’exposition s’ouvre sur une série de vues éloignées des crêtes montagneuses. Dans l’obscurité écrasante, des halos de lumière surgissent, révélant des villages perchés, semblant flotter comme par enchantement. Cette première partie souligne la singularité de ces paysages et introduit avec justesse l’univers de Mons Ferratus.

Le cœur de l’exposition repose, lui, sur une photographie urbaine d’une intensité rare, signature du travail de Karim Kal. Grâce à l’usage du flash et d’une exposition longue durée, il joue avec la lumière et l’ombre pour faire apparaître ou disparaître certains éléments de ses compositions, conférant à ses images une dimension presque irréelle. Il réussit à faire planer un mystère sur les paysages qu’il capture, à l’image du folklore propre à la région.

Enfin, la troisième et dernière partie s’attarde sur des fragments d’objets trouvés dans la montagne. Rapportés en studio, ils sont scrutés avec une approche quasi scientifique afin d’en extraire toute leur substance esthétique et symbolique. Si, dans la première partie, l’absence était une manière d’évoquer l’humain, ici, c’est par une attention minutieuse aux détails que chaque objet prend la parole et raconte une histoire.

Le travail de Karim Kal dans Mons Ferratus se distingue par sa puissance subtile. Ses photographies suscitent une émotion profonde sans jamais provoquer ni heurter. À contre sens de ce qu’il se fait aujourd’hui, il ne cherche pas à capturer une image choc pour attirer l’émotion.

Au lieu de cela, il suggère, il évoque, laissant planer le mystère à travers une approche inspirée des grands principes de l’art abstrait. Son expertise technique, alliée à une rigueur absolue, se conjugue à une humilité sincère et une intention artistique limpide. C’est cette alchimie qui confère à ses œuvres une force à la fois poignante et envoûtante.

Dans le flot d’information et d’images constantes du XXIème siècle, Mons Ferratus se démarque. Karim Kal souhaite préserver l’identité et l’intimité des personnes qu’il rencontre et des endroits qu’il immortalise. Il évite d’être le porte-drapeau d’un combat qui ne lui appartient pas et c’est cette conviction profonde et cette humilité remarquable qui fait sa force.

Laetizia Pietrini

Du 28 janvier au 13 avril 2025

Fondation Henri Cartier-Bresson, 79 Rue des Archives, 75003, Paris
Du mardi au dimanche de 11h à 19h
https://www.henricartierbresson.org/

Publication de l’exposition :
Karim Kal – Mons Ferratus (janvier 2025) – Atelier EXB, Texte d’Emilie Goudal, entretien entre Karim Kal et Clément Chéroux – 45€