A la Vieille Charité, ces Histoires de la Méditerranée qui ont le tatouage dans la peau

Convergences et divergences du tatouage à travers les âges en Méditerranée s’affichent fièrement à la Vieille Charité du 17 mai au 28 septembre prochain, au cœur de Marseille. Une implémentation originale de l’Histoire, présentée comme « décentrée ».

Si l’Histoire se raconte par l’écrit et l’oralité, elle se tatoue aussi. « Le tatouage est porteur d’enjeux rhétoriques et politiques » souligne Nicolas Misery, directeur des Musées de Marseille et commissaire de l’exposition.

Aujourd’hui, la pop culture et une jeunesse parfois marginale s’en sont emparées. Pourtant, les origines du tatouage remontent aux temps antiques. Ce dessin, variable selon les époques, s’écrit, très tôt, sur toutes les peaux. Au travers d’une mise à nu chronologique de l’objet d’étude, la Vieille Charité revient en détails sur le parcours du tatouage. Loin d’être unique, il apparaît plutôt multiple, émanant de cultures, de pratiques, de populations diverses et, partant, révélant des significations abondantes.

Avec le tatouage, rien n’est gravé dans le marbre. « Signe distinctif identitaire » relève l’exposition, il est également un emblème permettant d’afficher une « appartenance communautaire ». Entre outil d’inclusion et d’exclusion, volontaire ou involontaire, le tatouage semble donc avant tout être un symbole.

Comme chaque marque qui souhaite trouver un outil d’identification, il peut tout à la fois servir des causes nobles, comme des entreprises diaboliques.

L’exposition Tatouage. Histoires de la Méditerranée relève cette ambivalence en revenant sur l’étymologie du terme. En grec ancien, « tatouage » se dit « stigma ». Il donne aujourd’hui « stigmatisation », mais aussi « stigmates ». Etes-vous sûr de vouloir faire ce tatouage ?, entendrait-on presque…

Dès Platon, les écrits attestent d’une pratique de tamponnage des esclaves, des métèques ou bien encore des barbares. L’Antiquité développe, par ailleurs, une véritable aversion pour cette pratique : le corps est un objet précieux, son marquage représente une sorte de sacrilège.

En Grèce, dans les Balkans ou bien encore dans l’Empire romain, le tatouage sert donc à « surveiller, punir ».  A ce sombre diptyque, l’exposition confronte le triptyque bien plus reluisant qui avait cours en Egypte antique : « orner, protéger, séduire ».

S’appuyant sur nombre de prestigieux prêts du Musée national étrusque de la villa Giulia (Rome) ou du Musée Quai Branly – Jacques Chirac (Paris), l’exposition présente notamment une Description des tombes égyptiennes (1821) par Giovanni Battista Belzoni. Ce document révèle une présence du tatouage dans de grandes cérémonies prestigieuses comme une procession dans la vallée des Rois en l’honneur de Merenptah.

Des amphores grecques comme La mort d’Orphée (entre 445 et 440 a.v J.C), démontrent également une présence du tatouage sur des objets précieux. Sur le vase évoquant le tragique destin de l’aède grec, la représentation de femmes thraces tatouées s’inscrit dans une volonté de représentation pour mieux exclure par la suite ce peuple, considéré comme  barbare.

La religion du tatouage

Au tournant du Moyen-âge et de la Renaissance, le tatouage est également très présent dans la religion catholique. L’exposition présente notamment une xylographie très évocatrice, Le christ en croix entouré de saint Roch et saint Sébastien (première moitié XVIe).

Leur association est fictive : ils n’ont pas vécu à la même époque. La symbolique de leur (ré)union est renforcée par une imagerie de « dévotion » représentée par les plaies et souffrances endurées par les trois personnages. Saint Roch « exhibe une marque de la peste » ; saint Sébastien a le corps « transpercé de flèches » ; tandis que le Christ, en croix, accomplit son « supplice ».

Pas de triptyque symboliste du tatouage dans la religion chrétienne. Cependant, la foi en la Trinité en appelle bien aux marques physiques pour renforcer sa croyance mais aussi son mythe, ou attester de son éclatante véracité. Cet élan se ressent par le phénomène de « reproduction des plaies saintes », réalisée de manière coutumière par les pèlerins de l’époque.

Dans la pratique de la foi comme ailleurs, le tatouage, signe ostentatoire intrinsèque, semble bien être avant tout l’apanage d’un processus de démonstration. Démontrer l’honni ou le béni ; le très vénéré, celui vers qui l’on se tourne pour procéder à des incantations – notons ainsi une Statuette féminine Waka Sona ivoirienne (début XXe), exemple de statue-médium – ou le très décrié. La révolte.

En ce sens, dans une partie plus contemporaine, l’exposition revient sur le « tournant des années 1960 » où le tatouage participe, matérialise, sinon imprègne la décolonisation. Ce dernier « semble participer à un appel à l’autodétermination ».

Nicolas Misery et son équipe soulignent que la dimension politique qu’ils donnent au tatouage, notamment le 1er juillet 1962 lors du référendum pour le statut de l’Algérie, « apparaît rétrospectivement ». Les sources ne permettent pas d’affirmer clairement que le tatouage est brandi comme serait aujourd’hui brandi une pancarte dans une manifestation.

La Vieille Charité présente néanmoins, à l’appui de sa réflexion, ce tirage à l’argentique, « Oui », vote à Alger (1962) de Marc Riboud. Le cliché représente trois femmes aux tatouages discrets, prenant fièrement la pose devant un tag, tatouage mural aux significations souvent également très engagées.

Pourquoi se tatoue-t-on si ce n’est pour afficher fièrement, et à dessein, son dessin ? Derrière ce tableau historique riche et ces acceptions multiples, le tatouage semble s’être pleinement imposé comme un insigne.

Parfois glorifiant, souvent étouffant, l’insigne est symbole, horizon dans les temps troubles comme dans ceux de liesses ; et illumine ainsi l’Histoire. Même si l’Histoire ne s’écrit pas uniquement qu’avec des symboles.

Gabriel Moser

Du 17 mai au 28 septembre 2025

La Vieille Charité, 2 rue de la Charité, 13002 Marseille.

Entrée gratuite. Du mardi au dimanche, de 9h à 18h.

https://vieille-charite-marseille.com