Du Douanier Rousseau à Séraphine

Du Douanier Rousseau à SéraphineLes grands maîtres naïfs

« Naïfs, primitifs, modernes, antimodernes… » ? Pas évident de signifier l’art de ces artistes à contre-courant des avant-gardes.

Sur les pas d’Henri Rousseau et de Séraphine Louis, l’exposition vise à révèle une constellation d’artistes tels qu’André Bauchant, Camille Bombois, Ferdinand Desnos, Jean Ève, René Rimbert, Dominique Peyronnet et Louis Vivin.

Autodidactes, comme le Douanier Rousseau qui les précède, ils sont venus à l’art en secret ou sur le tard, mus par une vocation contrariée, une injonction divine ou par l’Histoire. Par nécessité, ils ont concilié leur pratique artistique avec une profession souvent modeste : cantonnier, employé de maison, lutteur de foire, imprimeur ou fonctionnaire des postes. S’ils ne se connaissent pas, certains exposent aux Salons, d’autres sont vus et soutenus par des amateurs influents. On trouve parmi ces derniers André Breton, Pablo Picasso, Vassily Kandinsky, Le Corbusier, Henri-Pierre Roché, Maximilien Gauthier, Wilhelm Uhde, Jeanne Bucher, Anatole Jakovsky et Dina Vierny, fondatrice du Musée Maillol.

Issue d’une famille juive de Bessarabie émigrée en France dans les années 1920, modèle de Maillol et de Matisse, résistante dès les débuts de la guerre, Dina Vierny découvre la peinture d’André Bauchant chez Jeanne Bucher pendant l’Occupation. Encouragée par la galeriste, la muse ouvre sa propre galerie en 1947, puis la Fondation Dina Vierny – Musée Maillol, bien plus tard, en 1995. Elle y présente les artistes de son goût, parmi lesquels Vassily Kandinsky, Serge Poliakoff et Bauchant lui-même.

Après la guerre, une nouvelle rencontre joue un rôle décisif dans son parcours : celle d’Anne-Marie Uhde, qui lui cède la collection de son défunt frère Wilhelm. En organisant deux expositions mythiques, « Les Peintres du Coeur-Sacré » en 1928 et « Les Primitifs modernes » en 1932, Wilhelm Uhde a réuni pour la première fois des artistes qui s’ignoraient. Après la guerre, Dina Vierny est l’une des seules, avec Anatole Jakovsky, à poursuivre le travail de cet amateur de la première heure : l’exposition « Le Monde merveilleux des naïfs », présentée à la galerie en 1974, en témoigne. Près de cinquante ans après, le Musée Maillol rend hommage à ces artistes comme à ceux qui les ont défendus.

Des artistes en filiation :

Rousseau, Bauchant, Bombois, Desnos, Ève, Louis, Rimbert, Peyronnet et Vivin partagent un regard ébloui et un lyrisme détonnant. Bien qu’on ait pu les qualifier de réalistes, leurs oeuvres montrent des espaces disjoints, des scènes troublantes, des images mentales où l’obsession du détail atteint souvent une dimension extravagante et même surréelle. Comme les peintres primitifs de la pré-Renaissance, ils inscrivent leurs figures dans des espaces à plusieurs plans sans appliquer strictement les règles de la perspective. Et à rebours des avant-gardes, ils perpétuent une certaine tradition picturale, parfois renouvelée avec humour, en se consacrant essentiellement à la peinture de genre : natures mortes, scènes domestiques, paysages et portraits de leurs proches.

Mais leur extraction modeste ne les isole pas de la modernité, ni même de la scène artistique. À l’exception de Rousseau, ils sont nés dans les dernières décennies du XIXe siècle et ont vécu l’accélération de l’ère industrielle et le choc de la Première Guerre mondiale. S’ils ne fréquentent pas les écoles ou les ateliers de maîtres reconnus, la reproduction mécanique alimente leur imaginaire visuel : presse, ouvrages illustrés, catalogues et cartes postales constituent un « monde en conserve » à leur entière disposition. Collages d’images mentales plutôt que représentations photographiques de la réalité, leurs oeuvres ont bien souvent cet effet d’ « inquiétant familier » que les surréalistes, à la même époque, aspirent à exploiter. Chacun à sa manière, les artistes réunis au Musée Maillol créent un ensemble original, riche de sensations et de souvenirs associés aux détails du monde, et dont le pouvoir de séduction va bien au-delà du charme de la maladresse technique.

Commissariat : Jeanne-Bathilde Lacourt, conservatrice en charge de l’art moderne au LaM, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole.  Àlex Susanna, écrivain, critique d’art et commissaire d’expositions

Du 11 septembre 2019 au 19 janvier 2020

Musée Maillol

59-61 Rue de Grenelle
75007 Paris 7
ouvert tous les jours de 10h30 à 18h30 – Nocturne le vendredi jusqu’à 20h30.

Photos : Véronique Grange-Spahis